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Me revoici donc avec cette seconde partie de ma conférence, où nous allons radicalement nous éloigner de l’aspect théorico-philiosophico de la première partie pour entrer en plein dans le côté pratique : Qu’est-ce qu’une photographie ?

Attention, nous sommes bien d’accord, je ne vais pas traiter de qu’est-ce que LA photographie, mais de qu’est-ce qu’UNE photographie, comment est-elle obtenue et par quels mécanismes il faut passer pour en obtenir une. Cela paraitra certainement très basique pour certains, mais j’aime revenir à la source, car au final cela nous permet bien souvent d’éviter des confusions et je peux mieux préparer ce que je vais dire dans la 3ème partie.

Nous partirons de ce schéma :

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Pour obtenir une photographie, il y a 3 « intervenants » : l’événement, les moyens techniques et le photographe.

 L’événement

J’aurais pu dire « sujet » ou « objet », mais j’ai préféré utiliser ce terme car il me semble plus proche de la réalité, de la « chose vue » car il contient en lui même une notion de temps. Nous avons vu dans la première partie que ceci est tout à fait relatif et qu’au final la photographie réduit la dynamique de la vie, son espace-temps à un espace en 2 dimensions. Il n’empêche que pour obtenir une photo, il faut bel et bien qu’il y ait quelque chose de la réalité pour que le capteur ou la pellicule l’enregistre. J’ajouterais également que cet événement doit avoir lieu dans un endroit où il y a suffisamment de lumière pour qu’il puisse être enregistré. J’ai entendu dire qu’une photographie est possible tant qu’on peut distinguer quelque chose. Avec les ultra hautes sensibilités qu’on a maintenant avec les nouveaux appareils photo, je me demande jusqu’à quel point c’est encore vrai.

 Les moyens techniques

 Pour prendre une photographie, il faut un appareil photo et un objectif.

L’appareil photo peut être d’une extrême simplicité et une boîte fermée hermétiquement et percée d’un petit trou en guise d’objectif peu faire l’affaire. De même, un appareil photo ultra sophistiqué avec tout un jeu de miroirs associé à un zoom capable de passer d’une ouverture minimale à une ouverture maximale, de passer d’une longueur de focale minimale à une longueur maximale permet bien entendu lui aussi de prendre une photo.

Ainsi, le choix de tel ou tel outil aura une énorme influence sur la photo finale, car si chacun permet de prendre une photo, ils ne permettent pas de rendre visible l’événement de la même manière !

 Pour prendre une photographie, il faut une surface sensible.

Pour que l’image puisse être enregistrée il faut une surface sensible. Celle-ci peut être sommairement une feuille photo-sensible ou de manière plus élaborée une pellicule ou un capteur numérique. Il existe des dizaines de pellicules différentes, allant du noir et blanc à la couleur. Elles ont toutes des rendus différents, sont plus ou moins « douces », saturées en couleurs, sensibles. Il en va de même pour les capteurs. Selon l’appareil photo (un reflex, un compact, un micro 4/3, etc …) et la marque de l’appareil (un nikon, un canon, un olympus, etc…), vous n’aurez pas les mêmes rendus. Il est vrai que les différences sont moins flagrantes en numérique que pour les pellicules, mais il n’en demeure pas moins que chaque appareil photo de telle marque a en quelque sorte son « identité de rendu ».

 

 Du côté du photographe

 L’instant décisif

Ah, ce fameux instant décisif « immortalisé » par Henri Cartier Bresson : « Une photographie est pour moi la reconnaissance simultanée, dans une fraction de seconde, d’une part de la signification d’un fait, et de l’autre d’une organisation rigoureuse des formes perçues visuellement qui expriment ce fait ».

Cette vision de la photographie a été saluée, reprise, glissée dans les dictionnaires des citations, mais aussi beaucoup critiquée par les théoriciens de la photographie qui la jugent très réductrice et surtout très confuse quant au rapport du photographe avec la simultanéité des faits : elle laisse entendre qu’il y a une adéquation parfaite entre la réalité des faits et leur « idéalité », réduisant toute marge interprétative du photographe. Or, comme nous l’avons vu dans la première partie, la photographie n’existe justement que grâce à cette marge interprétative . C’est parce que « le réel est inassignable à un espace, parce qu’il est soumis à la discordance des temps, parce qu’il entre en conflit avec la réalité sensible […] que la photographie est un objet possible non seulement de l’activité technique, mais de la perception visuelle (C. Vollaire)

Bref, ce que je veux dire ici, c’est que j’entends par « instant décisif » le moment où la lumière entre en contact avec la surface sensible. J’ai décidé d’inscrire cet instant décisif dans le paragraphe consacré au photographe car même si je semble le réduire à une simple action technique, celle-ci dépend directement du choix du photographe, y compris dans le cas de photographies prises en son absence. En effet, même dans ce cas, le moment, la cadence de prise de vue dépend de son évaluation, de son anticipation à décider du « meilleur » instant, de l’instant optimal pour obtenir la photo qui conviendra à son intention.

 Le cadrage

Une photographie est contenue dans un cadre à 2 dimensions : une longueur et une largeur. Sa forme peut être très variée (classiquement rectangulaire, carrée, ronde, ovale mais au fond toutes les formes sont possibles !). Pour obtenir une photographie, le photographe va donc couper, tailler dans la réalité, intégrer des éléments et en exclure d’autres. On dit souvent qu’en première instance le choix du cadrage est déterminant pour la qualité de la photo : les éléments qui sont contenus dans cette photo vont-ils permettre d’interpréter justement la scène montrée, y en a-t-il assez ? Ou au contraire y en a-t-il trop et rendent-ils la photo confuse ? Tout dépend de l’intention du photographe et nous verrons cet aspect dans la prochaine partie.

 Les choix techniques

Nous avons vu plus haut qu’une photographie pour exister a besoin d’un environnement matériel et technique. En tant que tels ils ne suffisent pas : il faut que le photographe fasse des choix parmi toute la palette à sa disposition afin de déterminer ceux qui conviendront le mieux à son projet. Il est clair qu’un photographe reporter n’utilisera pas les mêmes outils qu’un photographe de mode !

Dans ces choix techniques entre également en ligne de compte la façon dont le photographe va gérer le fameux trio ouverture/vitesse/sensibilité. Selon ses décisions, une photo apparaîtra plus ou moins nette, claire, sombre, bruitée ou non, etc ….

 Une photo doit être développée

Enfin, le dernier point est souvent, et étrangement mis à part dans le processus photographique. Et pourtant, il n’y a pas que l’avant-prise de vue ou « l’instant décisif », mais pour exister en tant que telle, pour être visible, une photographie a besoin d’être développée ! Encore une fois, que ce soit en chambre noire avec des procédés chimiques ou à travers un logiciel, une photographie doit passer par la « moulinette du développement ».

Autant ce passage est accepté comme une évidence dans la photographie argentique, autant dans la photographie numérique il y a beaucoup de gens qui pensent qu’une photo n’a pas besoin d’être développée pour être vue. Or, lorsque sur l’écran de contrôle nous découvrons la photo que nous venons de prendre, nous devons avoir en tête que celle-ci vient d’être développée en instantané (pour faire un parallèle, exactement au même titre qu’un polaroïd !). Une photo numérique est toujours prise dans le format d’origine de l’appareil photo (le fameux raw), et de même qu’une pellicule argentique doit passer dans des bains chimiques, une photo numérique doit passer dans le bain numérique. Et il est tout à fait illusoire de croire que parce que je peux voir la photo instantanément que celle-ci n’a subi aucune transformation ! C’est encore plus vrai pour les photos au format jpeg qui, au delà du fait qu’elles subissent une compression, subissent une vraie transformation par rapport au format d’origine.

Cette transformation serait un peu comparable au choix du papier pour le tirage en argentique : une photo n’aura pas les mêmes contraste, les mêmes couleurs si elle est tirée sur du papier brillant ou mat. De la même manière, une photo au format jpeg « large » n’a pas le même rendu qu’une photo au format jpeg « petit » et encore moins qu’une photo au format raw.

 En conclusion

Vous remarquerez que j’ai fait une espèce de « fromage » dans mon schéma, où j’indique avec la couleur l’ordre et l’importance que j’accorde à chaque « intervenant ». Il me semble juste que le photographe y occupe la plus grande partie : au final, c’est lui qui « voit » l’événement et qui fait les choix matériels en plus de tout le reste. Bien entendu, la part de fromage « événement » est plus importante que celle des moyens techniques car c’est elle qui va inciter le photographe à faire la photo.

Comme vous le voyez, il y a 7 interventions au strict minimum pour obtenir une photo. Et je n’ai pas décrit chaque processus et ses multiples possibilités intrinsèques ! Je me suis contentée de donner les éléments de base pour produire une photographie. Dans la partie suivante je traiterai de la manière dont le photographe se sert de ces « interventions » pour produire sa photo. C’est ce que j’appelle l’intention photographique.

Au stade où nous en sommes et après avoir lu ces 2 parties, je pense que vous mesurez déjà à quel point il est illusoire de dire que la photographie représente la réalité, et que ce fameux mythe de la photographie réaliste est justement … un mythe. Et nous n’avons pas encore abordé « l’intention du photographe » ! Avez-vous remarqué que dans mon listing des éléments essentiels pour obtenir une photo, la part « développement » (argentique ou numérique) n’occupe qu’une seule ligne ? Pour ma part, cela m’interpelle car nos a priori portent justement plutôt sur cet aspect alors que déjà en amont il y a toute une suite de processus qui « pervertissent » la réalité : la perception de la réalité, les passages matériels et les choix forcément subjectifs du photographe.

Pour finir cette partie de rappel basique sur ce qu’est une photographie, j’ai eu envie de vous donner quelques illustrations qui n’étaient pas comprises dans ma conférence à l’origine. L’objectif, à travers ces quelques exemples n’est pas de vous décrire mon intention photographique, mais juste de vous montrer que l’aspect purement pratique et matériel a une grande influence sur la réalité retransmise.

A tout bientôt pour la suite !

Photo au Holga
Photographie prise avec un appareil photo extrêmement simple et tout en plastique. Seule la mise au point (très grossière) et 2 positions d’exposition (soleil-pas soleil !) sont disponibles. Il fonctionne avec des pellicules 120.

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Photo numérique
Photographie prise avec un Nikon D700 (full frame) et un objectif 105 mm macro. Tant l’appareil photo que l’objectif sont ultra-évolués en regard du Holga. Ce type d’appareil photo produit des photos très nettes et piquées sur les zones de mise au point, impossibles à obtenir avec un Holga. De plus, la longueur focale modifie mon champs de vision qui devient ici très étroit.

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Photo au compact numérique au grand angle
L’utilisation du grand angle me permet d’englober une partie bien plus large de la scène comparé à la photo ci-dessus. Malgré un diaphragme relativement fermé (f/9), je suis cependant trop près de mon premier plan pour que celui-ci soit plus net.

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Photo avec pellicule N&B
Photographie prise avec un Yashika Mat 124 et une pellicule Ilford PAN/F 50 asa. Celle-ci a la spécificité de donner des contrastes extrêmement élevés dans certaines situations particulières.

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Photo avec pellicule à développement instantané polaroïd
Photographie prise avec un polaroïd. Il s’agit d’une pellicule The Impossible Project couleur SX70. Ce type de pellicule a un rendu très vintage (qui n’est pas forcément de mon goût !)

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Photo avec un Hasselblad XPAN
Appareil photo qui a la particularité de permettre les photos panoramiques sans trop de déformation. Le champs couvert est supérieur à celui du champs visuel naturel.

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Ci dessous les liens directs avec les différents articles de ce sujet :

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Photographie et réalité : brisons les idées reçues

I partie : Le rapport de la photographie avec la réalité

II partie : Qu’est-ce qu’une photographie ?

III partie : L’acte photographique : de l’intention à la photographie

IV partie : Photographie et réalité : le regard du photographe est un constructeur de mondes

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    BIBLIOGRAPHIE

  • Alexandre Rotdchenko . Ecrits complets : sur l’art, l’architecture et la révolution
  • Henri Vanlier : Philosophie de la photographie
  • Christiane Vollaire : Trancher dans le vif : sur les fonctions esthétiques de la photographie (revue de l’École des philosophes)
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10 pensées sur “PHOTOGRAPHIE ET RÉALITÉ : BRISONS LES IDÉES REÇUES (II)

  1. En effet, pas grand chose à commenter ni à redire sur cette partie-là, tu (re)poses les bases… Du coup, vivement la prochaine partie :).

  2. #Impatience également de mon côté 🙂

  3. Coucou Laurence, quand bien même j’ai assisté à ta conférence, c’est un vrai plaisir d’en lire le contenu au calme. Merci de l’avoir retranscrit, d’autant plus que tu nous offres des bonus photos. Voila, voilou, je retourne à ma valise. Je pars demain, youpiiiii 🙂 Bisettes.

  4. Bonjour Laurence,
    Je suis convaincue : ce « retour aux sources » est des plus efficaces ! des explications claires, et de belles illustrations …

  5. Pfiuu dites-donc, quelle pression pour la suite !!! Bon, la troisième partie est en ligne 🙂 Attention, elle est assez longue 🙂

    Je pense effectivement que ce « retour aux sources » est important. Basique certes, mais tout comme le sont les sources, sans fioritures et avec une saveur de « bon sens » fort utile !!

  6. Kikou Laurence, retour aux sources basiques comme tu dis, mais primordiales, chaque étape est importante et ta façon d’expliquer les choses rend leur compréhension plus aisée. Sans compter le fait, bien évidemment, qu’ayant le même point de vue sur la photo, c’est agréable de voir des mots posés sur les réflexions que l’on se fait.

  7. une partie qui a l’avantage de nous faire un peu réfléchir. Il n’y a finalement que deux choses qui m’ont fait réagir.
    -Tu dis « pour prendre une photo, il faut un appareil photo et un objectif. Je me demande si la formulation est adaptée à ta façon de voir la photo. Je m’explique: Appareil photo c’est au départ un ensemble qui comprend l’objectif. Maintenant, dire que ça nécessite un objectif, je ne suis pas certain. Est-ce qu’une entrée de lumière est un objectif?

    -Pour ton « fromage », c’est probablement à ce niveau que la discussion pourrait être la plus animée. J’ai tendance à croire que l’événement est la part la plus importante, même si comme dans ton cas, l’événement est « créé » par toi.

  8. Bonjour à vous !

    Ravie Plume et zoom que mes mots te conviennent 🙂

    Dominique : tu as tout à fait raison, j’aurais dû dire « boîtier » pour être plus exacte !!!! Et non, bien sûr en soi une entrée de lumière n’est pas un objectif, mais étant donné que la taille du trou a son importance en fonction de ce que tu veux avoir comme rendu (du plus précis possible au flou, donc trou plus ou moins gros), j’ai considéré cet aspect comme faisant partie de « l’objectif ».

    Ahaha, tu crois donc que je crée plus que toi ??????? Bien sûr que non ! J’ai tendance à faire des photos plus interprétables (c’est mon côté intello) à un autre degré, c’est pour cela qu’on me classe souvent dans la catégorie des photographes « conceptuels ». Ton type de photo n’est pas le même, tu vas aller peut-être plus dans la description, mais cela ne veut pas dire que tu ne crées pas, exactement comme je le fais. Ce sont nos regards qui changent et nos interprétations de nos réalités individuelles qui sont différentes, mais nos créations restent des créations photographiques.
    Par ailleurs, si je ne mets pas l’événement en primauté, c’est parce que je suis convaincue qu’il ne serait rien s’il n’y avait pas le photographe et et l’appareil photo : il resterait dans la dynamique vitale, importante pour certains, négligeable pour d’autres.
    Merci Dominique de m’avoir donné l’occasion de m’expliquer 🙂

  9. c’est très juste! j’adhère complètement et suis contente de lire que la partie « développement » est partie intégrante à la création de la photographie

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