Je dois vous l’avouer, il m’est très compliqué de « passer à autre chose » après les attentats du 7 janvier dernier tant la déflagration est forte. C’est que renouer avec une vision romantico-pacifico-esthétique du monde dans laquelle j’aime me complaire habituellement n’est pas chose aisée, surtout quand on a aussi un tempérament prompt à tout moment à endosser le costume du chevalier blanc de la justice. Ceci dit, égoïstement cela m’aura permis de me replonger dans des réflexions de fond sur ce qu’est la liberté, la démocratie, la laïcité, la république. Ma conclusion est que ces notions sont bien mises à mal par nos élites gouvernantes et sont le prétexte à des fourre-tout partisans créateurs d’inégalités et de violences dont on aura bien du mal à évaluer les dégâts. Aujourd’hui donc, « je ne suis plus Charlie » car je suis consciente que ce slogan est devenu un nouveau embrouillamini qui englobe trop d’idées disparates et parfois contradictoires. Par contre, j’aurais aimé en créer un autre et qui aurait tout simplement dit « Je suis triste » car tel est mon sentiment sincère.

Bohnchank Koo, ou l’éloge de la fadeur

Alors comment renouer avec le quotidien photographique après un tel séisme ? En cherchant ce qui m’apaise et qui, je l’espère, vous apportera à vous aussi tranquillité. C’est ainsi que j’ai envie de vous parler d’un photographe Coréen, Bohnchang Koo dont j’ai eu le plaisir de voir une rétrospective à Milan il y a quelques semaines. Ce photographe est connu pour sa recherche sur le temps qui passe et les traces matérielles, spirituelles et culturelles qu’elles laissent – ou non – ou à peine. Les photographies présentées étaient tirées de plusieurs séries dont deux ont fait particulièrement écho en moi : « White » et « Soap ».

D’une simplicité presqu’irréelle, la série Soap a agi comme un véritable aimant sur ma rétine. Cette alliance de lumière particulièrement douce, de transparence quasi evanescente mais aussi de matériaux bruts, de formes simples et de couleurs pastels m’ont offert un grand moment. Paradoxal non, alors que le savon, ustensile on ne peux plus banal tend à la disparition avec notre utilisation quotidienne ? Cette série est à voir ici : http://www.bckoo.com/sub_work10.html

La seconde série, « White » porte quant à elle sur la nature, ou plutôt sur les délicates traces qu’elle laisse une fois sa splendeur et sa luxuriance passées. Le lien pour voir ces photographies est ici : http://www.bckoo.com/sub_work12.html. Il est vraiment dommage que vous ne puissiez pas admirer la délicatesse des tirages sur le superbe papier coton et qui donne toute leur subtilité aux photographies.

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Les photographies ci-dessus sont les miennes. Je n’ai pas honte de dire que cette série m’a tant parlé que j’ai eu envie de la copier*. On dit souvent en effet que c’est en reproduisant le geste du maître, en l’imitant, que l’on peut parvenir à sa maîtrise. Bien sûr, dans le cas présent il ne s’agit pas d’un geste technique car rien n’est plus simple que de photographier un mur ! Mais j’ai eu envie d’imiter le sens de la délicatesse de Bohnchang Koo. Par rapport à l’original, je dirais seulement que j’ai eu envie de laisser à ces photographies une légère nuance de couleur en ne les désaturant pas totalement afin de ne pas « dé-réaliser » complètement les photographies.

Ce qui m’intéresse dans ce travail, c’est de parvenir à un équilibre que l’on pourrait appeler « fadeur », où la quasi absence de signes devient délectable, où l’on arrive à une simplicité essentielle. C’est une expérience dont je n’ai absolument pas l’habitude et qui va complètement à contre-courant de ce que je réalise généralement en photographie. Je n’ai aucune idée où ces expériences me conduiront, mais je suis trop curieuse pour renoncer 🙂 Quoi qu’il en soit, cette expérience de « la fadeur » m’apporte un apaisement que je n’aurais jamais soupçonné !

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* Il est bien évident que si je considère que copier ou s’inspirer fortement de quelqu’un est positif pour l’apprentissage, il est tout aussi évident qu’il est malhonnête de s’approprier l’oeuvre d’un autre comme étant sienne. Je ne nie pas cependant que la frontière peut être fragile dans certains cas. Ceci dit, dans les photos ci-dessus, la ressemblance conceptuelle est telle et ma démarche est si volontaire qu’il aurait été tout à fait malhonnête de ma part de ne pas citer Bohnchang Koo comme le « père spirituel » de ces photographies.

** « Eloge de la fadeur » est la reprise du titre d’un livre de François Jullien que je suis actuellement en train de lire : Eloge de la fadeur – A partir de la pensée et de l’esthétique de la Chine.

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31 pensées sur “Bonhchang Koo

  1. Excellente thérapie dont les effets se ressentent instantanément, ces espaces semi-vierges sont comme des pages de  » dés-soumission  » et une invitation secrète à reconstruire le mur du dialogue avant d’atteindre le sens de l’amour et le respect mutuel.
    Merci Laurence, j’en profite comme toi à rester sensible à mon devenir photographique…

    1. J’aime beaucoup ce que m’évoque votre texte en commentaire, c’est magnifiquement bien écrit. Merci à tous les deux Laurence et Bertrand, de cette belle intelligence. Bonne journée!

      1. Bonjour @bertrand et @terreindienne : C’est moi qui vous remercie pour ces paroles ô combien apaisantes. Une « dés-soumission » lente mais nécessaire faite dans le secret de la conscience de chacun.

  2. Très belle série, et merci pour le lien vers cet artiste coréen. Très inspirant pour ma journée (et mon travail de dessin). La première partie de votre texte me fait particulièrement du bien… Je vais partager votre article sur Facebook, mais peut-être également, avec votre autorisation, poursuivre par un geste concret la question de « je suis Charlie », « je ne suis pas Charlie » « je suis triste ». L’écrire blanc sur noir, pour moi ce sera « je suis inquiète ».

    Bonne journée et merci!

  3. Très belle série, et merci pour le lien vers cet artiste coréen. Très inspirant pour ma journée (et mon travail de dessin). La première partie de votre texte me fait particulièrement du bien… Je vais partager votre article sur Facebook, mais peut-être également, avec votre autorisation, poursuivre par un geste concret la question de « je suis Charlie », « je ne suis plus Charlie » « je suis triste ». L’écrire blanc sur noir, pour moi ce sera « je suis inquiète ».
    Bonne journée et merci!

    1. @terreindienne , je suis ravie que la découverte de cet artiste soit inspirante. Il nous invite en effet à nous concentrer sur des choses simples mais essentielles, loin du vacarme. C’est rare … Merci pour le partage sur facebook et bien entendu, tout ce qui peut contribuer à l’apaisement des esprits est le bienvenu !!!
      Bonne journée alors 🙂

  4. Merci Laurence et Terre indienne: Je suis triste et inquiète dit au coeur ce que je suis aussi: Oui, une personne triste et inquiète…

    1. @chri : Il s’agit donc d’essayer d’être un peu plus sages à l’avenir, non ? Pas facile …

  5. Un merci aussi pour la découverte de cet artiste coréen…

  6. Encore une fois, je crois que je suis entièrement d’accord avec toi : moi aussi , je suis triste. Ton texte exprime parfaitement ce que je ne savais pas dire et, pour cela, il m’éclaire et fait du bien. En regardant cet artiste et tes photos, j’ai immédiatement pensé à une photo que tu as déjà faite : je l’appelle « L’insoutenable légèreté de l’être ». Tu sais, les 2 mains en filigrane que tu m’as offertes… et je rejoins, ainsi, « le sens de l’amour et le respect mutuel » de Bertrand.
    Merci pour tout !

    1. Bonjour @marie-laure ! Oui, cette photo va effectivement elle aussi vers l’essentiel mais sans rien imposer, sans aucune brutalité.
      Je suis vraiment heureuse de lire cette envie de réconciliation dans vos ressentis. Ouf, c’est que nous avons tous été tellement secoués !

  7. Bonjour Laurence.
    Je suis triste aussi.
    Triste comme tout le monde, ou presque à cause de ce qui s’est passé le 7 janvier.
    Triste, et à lire les commentaires, je suis presque le seul, parce que je ne partage pas ton opinion sur cet article coréen.
    J’ai hésité à l’écrire, mais finalement, la liberté d’expression…

    J’ai visité toutes les galeries sur son site, pas seulement white et soap, et je n’embarque pas plus. Mais c’est peut-être à cause de sa série « snow ».. Non, lui et moi n’avons pas la même neige…
    Bonne journée, Laurence

    1. Bonjour @dominique-bouvet 🙂 Héhéhé, je crois que ce débat sur la liberté d’expression n’est franchement pas clos. Mais c’est peut-être l’occasion de reformuler la question en commençant déjà par tenter de définir ce qu’est la liberté et ce qu’est l’expression. Tu sais, comme je le dis dans mon introduction, ce terme est devenu un tel fourre-tout qu’il est vidé de son véritable sens.
      Quant à Bohncheng Koo, bien sûr que si vous avez la même neige, vous ne la regardez pas sous le même prisme, c’est tout 🙂

  8. Bonsoir ma chère Laurence,
    J’ai compris la profondeur de ton trouble suite à ces tragiques évènements, ton besoin de retrouver une certaine simplicité et je partage ton avis sur l’ambiguïté de tous ces « Charlie » mais pour tout t’avouer, je suis un peu décontenancée en découvrant tes photos, tellement différentes de ce que tu nous présentes d’habitude et n’y ai pas été plus sensible que cela. Je suis allée voir les photos de cet artiste coréen. Certaines ne me parlent pas du tout et m’ont fait penser à de simples textures, peut-être ne les comprends-je tout simplement pas. Il faudra que je retourne m’en imprégner mieux, davantage… Mais je trouve vraiment intéressant que tu m’ouvres de nouveaux horizons et de nouvelles pistes de réflexion. A tout à l’heure 😉

    1. Bonjour @christine ! Bien entendu, comme dans tout le domaine sensible, il y a des images qui retiennent plus que d’autres l’attention et qui provoquent plus d’émotions que d’autres. Dans le cas de cet artiste, ce que j’ai compris de sa démarche, ou plutôt ce que j’en ai ressenti intimement, c’est qu’il m’a emmenée sur le chemin de la simple contemplation. Dans ce livre que je suis en train de lire sur l’éloge de la fadeur, voici un extrait qui pourrait pourrait te faire comprendre la démarche :
      « Toute saveur est décevante en même temps qu’elle est alléchante, elle induit seulement le passant à s’arrêter, elle l’appâte sans le combler. Elle ne présente qu’une excitation immédiate et momentanée qui (…) s’épuise à peine elle est consommée : en opposition à ces stimulations superficielles, nous voici invités à remonter à la source « inépuisable » de ce qui constamment se déploie sans jamais se laisser réduire en une manifestation concrète, sans jamais se laisser complètement appréhender par les sens – mais transcende toute actualisation particulière et demeure riche en virtualité ».
      C’est profondément ce que je ressens devant un certain nombre de ses oeuvres : elles ne se laissent pas consommer totalement, elles déploient une sorte de virtualité qui me plonge dans un état de grande paix.
      Arf, comme c’est difficile de décrire et de rationaliser des sentiments !!!

    1. Merci @anne tout simplement 😉

  9. Ben ça alors!! En découvrant tes photos et celles de Bohnchang Koo, je pense immédiatement à celles que j’ai prises dans le temps des fêtes qui rejoignent ce style épuré « japonisant »!! Je ne les ai pas encore publiées sur mon blog mais ça s’en vient! Quelle synchronicité quand même! Héhé!
    C’est très chouette de lire ta démarche par rapport à tes impressions, tes intentions, tes influences, tes inspirations en photographie… J’admire ça parce que c’est une chose que je suis encore incapable de faire: j’ai beaucoup de mal à être dans l’analyse ou l’intellectualisation de mes propres photographies… je ne sais pas si ça viendra avec le temps et l’expérience??

    1. Bonjour @celine 🙂 Oh, tu sais, moi aussi j’ai beaucoup de mal avec mes propres photographies !! ceci dit, c’est vrai que j’ai ce côté un peu pénible de vouloir toujours tout analyser et comprendre, et bien que j’y arrive rarement, je ne peux pas m’en empêcher !! Je ne sais pas si c’est avec l’expérience qu’on y arrive, mais il est vrai que plus on développe sa culture artistique (je crois fermement dans la transversalité des arts !) plus on est à même de définir avec acuité nos penchants 🙂

  10. Merci pour la découverte, il est vrai que la série Soap est surprenante, arriver à faire ressortir la beauté d’objets aussi ordinaires…et pourtant ça marche.
    Je trouve ton évocation de l’autre série très réussie…on y retrouve la même délicatesse et fragilité.
    Merci de partager avec nous tes reflexions.

    1. Merci à toi @donlope de nous faire partager tes sentiments !! ne dit-on pas que plus on est nombreux plus on rigole ? 😉 (ce qui n’est pas toujours vrai d’ailleurs !)

  11. Oui Laurence, Charlie a vécu, aux sens que l’on comprend maintenant, alors que la récupération fait feu de tous les sabords… Restons lucides et verrouillés sur nos libertés chèrement gagnées et qu’il s’agit de transmettre dans le meilleur état possible à nos enfants.
    Ton éloge de la fadeur fait mouche. Tu prolonges les pas de l’artiste et c’est la un geste essentiel. Au-delà du rien, reste-il un peu de nous ? Je pense justement qu’il ne reste que nous. J’admire souvent ces toiles blanches traversées par une ligne d’une pureté sans égale. D’aucuns crient à l’escroquerie : je prétends que tenter de voir derrière la toile, derrière le vide, est une piste pour nous affranchir de cette vie et, peut-être, est-là une idée du salut que nous cherchons à traduire par nos sentiments artistiques, encouragés par cette liberté d’expression qu’il nous faut défendre sans faiblir.
    Jonas

    1. Oui @Jonas, je te rejoins entièrement car de ce vide apparent, c’est bien souvent nous qui le comblons. Le mieux est d’y arriver avec le juste équilibre 🙂

  12. Oui certainement ce Charlie là a t’il vécu …Mais ce qu’il aura représenté pour chacun, n’en est pas moins beau me semble t’il.
    Il reste un kriss planté dans nos carapaces de tortues… Et merci car ta série caressante au regard, balsamique, nous laisse reprendre notre souffle.
    Ici germe l’inaudible.
    Bonjour Laurence.

    1. @nathanael … et pourtant il me semble que dans ce germe de l’inaudible, le reste de la sonorité est grand …

  13. Très intéressant; et cette intériorité subtile est très « nettoyante » après la violence que nous avons tous reçus, et subis.

    Tiens, j’ai pensé que cette pièce de musique irait bien avec ton travail et celui de Bohnchank Koo.
    https://www.youtube.com/watch?v=aKq-LRYv1Q4&spfreload=10

    J’ai absolument craqué, adoré, été émue par « Ocean », c’est peut être pour cela que j’ai pensé à cette musique.

    1. Le lien sonore que tu nous proposes est effectivement en plein dans cette philosophie du neutre, de la fadeur. Merci @cecile de m’ouvrir d’autres perspectives encore ! Qui sait, est-ce que @christine y découvrira cette saveur intouchable ?

  14. C’est subtil, neutre, aérien…Parfait pour une « remise à zéro ». Je crois que les derniers événements, aussi douloureux soient-ils, ne doivent pas entamer notre créativité mais au contraire, l’aiguiser, l’ouvrir, la cultiver. Certains lèvent leurs crayons, d’autres leurs stylos, leurs objectifs, leurs plumes… Merci pour ce nettoyage spirituel.

    1. Bonjour @polina , un « nettoyage sprituel », comme c’est joliment dit ! Merci à toi pour ces mots !!!

  15. Bonjour Laurence

    Si ces évènements nous permettent à tous de revenir à des questions plus essentielles, alors, au-delà de la grande tristesse qu’ils ont créés, tout cela, au final, ne sera pas inutile, et devient chargé d’un sens beaucoup plus profond que les réactions émotionnelles, qu’ils ont déclenchés dans un premier temps.
    Et si tout cela, au final, enclenchait une réaction salutaire et bénéfique pour arrêter la dérive dans laquelle nous étions tous plongés ?
    Ce choc dramatique fut d’une violence inouïe, mais aurions nous pu stopper la superficialité générale, les à peu-près, et nos arrangements égotistes dans lesquels nous étions immergés sans cela ?

    Je ne connaissais pas cet artiste Coréen. Merci de nous le faire découvrir. Sa série Océan, notamment, m’a particulièrement parlée, ne serait-ce que parce que j’ai réalisé des choses très semblables sur la mer et sur des paysages d’une affriolante nudité ou austérité. La différence, c’est que je ne les ai jamais montré à qui que ce soit, pensant que cela ne pouvait intéresser personne. Comme quoi, l’auto-censure…
    La série Océan :
    http://www.bckoo.com/sub_work7.html

    1. A ce que je vois, tu es donc sur la même longueur d’onde que @cecile en ce qui concerne cette série Océan 🙂 Nous sommes en effet bien souvent nos propres auto-censeurs. est-ce à dire qu’il nous manque du courage pour affirmer, montrer ce qui nous touche, quitte à ce que ça paraisse étrange ? Ou bien peut-être avons-nous peur de notre solitude au point qu’on préfère ne pas savoir si on est le seul, en confrontant nos oeuvres aux regards des autres, à trouver un sens à nos émotions ?
      Merci @jean-paul pour ton apport à nos réflexions !

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