Ce n’est pas compliqué, les tibétains sans leurs chevaux ne seraient plus des tibétains. Le cheval est littéralement dans leur ADN ! Mais ils sont aussi des humains et leurs chevaux, outre qu’ils sont leurs compagnons de travail, leur servent à se mesurer, à concourir sur leur habilité, leur force, leur rapidité, leur beauté. Et pour cela, il faut de grands rassemblements !
Ainsi, le festival équestre de Yushu dans le Qinghai fait partie des lieux de compétition parmi les plus prisés par les Tibétains. Vous vous souvenez, l’année dernière j’avais essayé d’y participer mais c’est une toute autre aventure qui s’était présentée. Or cet été j’ai eu la joie d’être invitée par le gouvernement local pour y assister. Enfin j’allais pouvoir voir ces fameuses courses !
Un monde en multicolor
En été, sur le plateau du Tibet, c’est la saison des pluies. Indispensables pour nourrir les fleuves qui prennent naissance sur le toit du monde, ces pluies ont malgré tout été éprouvantes et sur une petite semaine je n’ai pas eu la chance de voir le soleil pour ainsi dire. Quel dommage ! Mais même avec ce temps maussade – et relativement froid car on ici on est haut, très haut – je vous laisse vous faire une idée du chamarrage éclatant des costumes d’apparat que les différents clans revêtent. C’est un régal pour les yeux !
Les gens viennent de toute la région et font parfois plusieurs centaines de kilomètres pour y participer. A la fois occasion de retrouvailles familiales et amicales, cette fête du cheval rassemble des milliers de cavaliers depuis la nuit des temps.
C’est qu’ici nous sommes en territoire Kham, une des trois branches tibétaines, les deux autres étant les Ütsang et les Amdo. Bien qu’ils considèrent Lhassa comme le lieu de pèlerinage central de la vie bouddhiste (c’est un peu comme le Vatican pour les chrétiens ou La Mecque pour les musulmans), les Kham ont leur propre langue tibétaine et leurs coutumes. Il est intéressant de noter que jusque dans les années 60, ils ont lutté contre le pouvoir de Lhassa pour leur autonomie avant de se rallier à la cause du Dalaï Lama, plus pour des questions religieuses que politiques : les communistes athées leur faisaient horreur.
Mais revenons à nos chevaux … Vous vous attendez probablement à ce que je vous montre comment se déroule cette fête et quelles sont les épreuves. J’espère que vous ne serez pas déçus mais je ne le ferai pas 😉 Ce n’est pas parce que je ne veux pas, mais je n’ai tout simplement pas de photos ! En effet, en tant qu’invitée officielle ma place était dans les tribunes et c’était tout simplement impossible de prendre des photos parce que j’étais trop loin et que je n’avais pas les super zooms ad hoc. J’ai bien réussi à m’approcher des bords du terrain à un certain moment mais il pleuvait beaucoup, j’étais fatiguée car j’avais passé plusieurs heures à arpenter les alentours et je n’avais plus cette « niaque » du photographe si indispensable pour aller chercher ses photos. J’ai donc filmé avec mon portable et c’est ce que je vous montre, histoire de ne pas vous laisser trop sur votre faim 😉
Comme vous pouvez le constater, ce ne sont pas des courses de vitesse mais d’adresse. Dans cette séquence, les cavaliers doivent viser au fusil des petites cibles au sol alors qu’ils sont lancés au triple galop. Dans d’autres épreuves, ils utilisent des arcs ou, plus pacifiquement, ils doivent ramasser au sol le plus grand nombre d’écharpes. Dans ces compétitions, outre le fait que le cavalier doit être extrêmement agile, il faut également que le cheval tienne une ligne droite alors qu’il est complètement déséquilibré par le poids du jockey. En effet, lorsque celui-ci « descend » au ras du sol et remonte ensuite, on sent l’effort considérable fait par le cheval pour ne pas tomber. Et c’est ce qui arrive plus souvent qu’on ne le croit, ce qui rend ces courses finalement très dangereuses tant pour le cheval que pour le cavalier.
Le saviez-vous ?
Appartenant à l’ethnie des Khampa pour la grande majorité, ces tibétains sont surnommés « Les Cavaliers du Ciel » et leur réputation est loin de l’image idyllique que l’on se fait de ce peuple au chef spirituel Prix Nobel de la Paix. Un article du Figaro nous apprend ceci à leur propos : Marco Polo les qualifiait déjà de «tueurs sans foi ni loi, pratiquant l’idolâtrie et toutes sortes de magies» et veillait soigneusement à ne jamais traverser leur territoire. Bien plus tard, les caravanes empruntant la route du thé, entre Lhassa et Kangding, furent régulièrement pillées par ces cavaliers de l’apocalypse qui massacrèrent aussi les explorateurs français Dutreil de Rhins (en 1894) et Louis Liotard (en 1940). Dans les années 20, Alexandra David-Néel était bien la seule à leur trouver un air de «gentlemen brigands»… en précisant toutefois que les autres Tibétains les considéraient, eux, comme des barbares.
Bien sûr aujourd’hui ces Khampas ne sont plus les brigands d’autrefois et leur gentillesse n’est pas à démontrer ! Il n’en demeure pas moins que les danses effectuées durant cette fête m’ont souvent semblé guerrières et la présence de toutes sortes d’armes m’a surprise, d’autant que leur port est interdit dans tout le reste de la Chine.
Alors pas de photos dans ce billet ?
Bien sûr que si ! Mais j’ai choisi d’axer mes photos sur l’émotion plutôt que sur le style reportage qui, grâce à la couleur, est plus descriptif, plus « démonstratif ». Je souhaite vous faire rencontrer l’âme de ces personnes et pas seulement vous offrir une visite de courtoisie en pays tibétain. Et pour cela, rien ne vaut le noir et blanc pour mettre en scène ces regards croisés !
Ces photos ont été prises côté « coulisses ». Mais je voulais aussi vous montrer le côté tribunes et vous faire découvrir les spectateurs. Il manque malheureusement le son et vous auriez entendu ces cris brefs et aigus que les tibétains ont l’habitude de lancer pour exprimer leur joie. Ici, pas de chansons ou de slogans à l’unisson de supporters mais des « youhou » qui fusent continuellement et qui crépitent comme des pétards 🙂 Même les moines sont de la partie !
J’ai eu envie d’ajouter une dernière photo pour parler de quelque chose qui moi me touche beaucoup, je veux parler du phénomène culturel des moines enfants. Bien qu’officiellement les enfants ne puissent plus entrer dans les ordres avant leur majorité, à 18 ans, dans cette partie du Tibet c’est encore chose très courante et cette photo est loin d’être une exception. Parfois, ces enfants sont confiés à la vie monastique très très jeunes, dès 6 ans. Cette photo me touche car on y voit ce petit moine sur les genoux de son père, en arrière plan il y a probablement son frère et à coté, probablement aussi, leur oncle, tous les 3 moines. Il mange du popcorn et on sent qu’il doit profiter de ce moment de fête pour se faire dorloter, comme le ferait n’importe quel petit garçon. C’est que ces enfants moines vivent au monastère, loin de leurs parents et souvent ils sont confiés à un moine de la même famille (un frère, un oncle, un cousin). Même s’ils sont bien traités par ces derniers, cela ne remplacera jamais la présence de la mère et/ou du père. Je me demande quels effets psychologiques, et notamment du point de vue affectif, cela peut avoir sur ces enfants. Par ailleurs, lorsque je les regarde, je me dis que jamais ils n’auront la possibilité de choisir leur vie, ni même de recevoir une instruction autre que religieuse et encore moins de fonder une famille. Est-ce que c’est juste ? Je n’en suis pas sûre …
Cette journée aux courses s’achève. J’espère que vous aurez pris du plaisir à la découvrir !
Pour ceux qui seraient tentés d’aller à la rencontre de ces tibétains, n’hésitez pas à prendre contact avec moi ! Je peux vous donner pas mal de contacts locaux et de conseils pour visiter cette région de Chine très largement méconnue et en dehors de tout sentier touristique. Bien sûr, il faut être vadrouilleur mais si vous lisez ce blog c’est probablement que vous êtes photographe et … un photographe pas vadrouilleur ça n’existe tout simplement pas 😉
Merci Laurence pour ce témignage très enrichissant!
Merci à vous bernard pour votre présence !