Après avoir vu pourquoi le choix de la couleur ou du noir et blanc n’était pas juste une question esthétique, je propose qu’on se penche sur la question du COMMENT voir en noir et blanc et par conséquent, comment composer !
Mais pour parler de noir et blanc, il faut d’abord comprendre … la couleur.
En effet, naturellement nous voyons en couleurs et nos appareils photo numériques aussi ! En effet, mis à part Leica qui propose de capteurs dédiés au noir et blanc, tous les autres sont nativement fabriqués pour capter la couleur. Il faut donc qu’on arrive à interpréter ces couleurs, à extrapoler le monde en noir et blanc. Techniquement et du point de vue de la perception, voici comment ça se passe.
Pour aller au plus simple, nous allons prendre le système de gestion de la couleur en informatique. Ce modèle est connu sous le nom de TSL pour Teinte, Saturation et Luminosité (ou HSL en anglais, Hue, Saturation, Luminosity).
La teinte est la forme pure de la couleur par opposition au noir, au blanc ou au gris : le rouge, le jaune, le vert, …. Il y a 6 grandes familles de teinte : le Jaune, le Rouge, le Magenta, le Bleu, le Cyan et le vert. À l’intérieur de chaque famille, il y a un pourcentage plus ou moins important de la valeur pure.
La saturation est l’intensité de la couleur par opposition au gris. Par exemple, on peut avoir un bleu très saturé ou bien un bleu qui contient plus de gris.
La luminosité est la brillance de la couleur par opposition au noir et au blanc. On pourra avoir par exemple un vert clair ou un vert foncé.
Maintenant, voyons ce qui se passe avec la teinte, la saturation et la luminosité lorsque nous convertissons les couleurs en niveaux de gris. Vous allez être surpris 🙂
L’image ci-dessous est composée de 3 teintes de base (Rouge, Bleu et Vert). J’ai placé leur luminosité et leur saturation à l’identique (100 en saturation et 50 en luminosité) Le résultat une fois convertie en noir et blanc est qu’on a 3 carrés d’un gris quasiment identique. La teinte ne joue donc aucun rôle dans la conversion en Noir et blanc !
Prenons maintenant la couleur bleue. J’aurais pu utiliser le rouge ou le vert pour cette démonstration. J’ai attribué au carré de gauche ces valeurs : 240 pour la teinte, 100 pour la saturation et 43 pour la luminosité. Dans le carré de droite, j’ai juste changé la saturation et l’ai placée sur 50.
Alors que nous percevons très clairement une différence entre les bleus, vous pouvez constater qu’en noir et blanc il n’en est rien ! Les 2 carrés gris sont très proches l’un de l’autre. Ainsi, comme pour la teinte, la saturation ne joue aucun rôle lors de la conversion en NB !
Enfin, je vais maintenant baisser la luminosité du carré de gauche (j’ai remis sa saturation sur 100%).
Enfin il se passe vraiment quelque chose ! Les 2 carrés ont très clairement des gris différents ! C’est donc la luminosité des couleurs qui joue un rôle majeur lors de la conversion en NB.
En conclusion, ce ne sont ni la teinte ni la saturation qui comptent pour une conversion en noir et blanc, mais c’est la luminosité ! Il est donc absolument essentiel d’avoir cela en tête au moment de la prise de vue.
Comprendre le contraste
Si vous avez bien suivi, tout est donc question de contraste. Pour la couleur, on va plutôt se concentrer sur le contraste de teinte (et sur la saturation et la luminosité mais dans une moindre mesure) alors que pour le noir et blanc on va se baser exclusivement sur le contraste de luminosité.
Qui dit contraste dit lumière ! Attention ici car parler de lumière est un peu différent que de parler de la luminosité. En effet, une photo avec peu de lumière peut être contrastée ou non, ou bien au contraire, une photo avec beaucoup de lumière peut être très faiblement contrastée !
Donc si vous me suivez toujours bien, vous comprenez qu’il y a 2 types de contrastes : celui des couleurs et celui de la luminosité. Ceci nous amène à nous intéresser de près à la qualité de la lumière !
Nous savons tous en tant que photographes que la lumière ambiante d’une scène est primordiale. Par exemple, essayer de photographier un paysage en plein midi alors que le soleil est au zénith relève de la gageure si on souhaite réaliser une photo en couleurs. En effet, l’excès de lumière amoindrit les couleurs, les écrase en quelque sorte et à moins de trouver des ombres (grâce aux nuages par exemple) qui vont permettre de redonner du contraste, il y a de grandes chances pour que notre photo soit assez plate. À l’inverse, si on pense et si on voit en noir et blanc, le soleil de midi est une tout autre affaire et il se peut au contraire qu’il soit une aubaine.
La photo ci-dessous est un exemple typique. Je l’ai prise à 11h du matin en mai, donc autant dire que le soleil était quasiment au zénith. Pourtant c’est une région qui ne manque pas de contraste avec sa terre très rouge et sa végétation verte luxuriante . Mais sous ce soleil, les couleurs étaient écrasées de lumière. Il y avait une route en ciment blanc mais qui passait relativement inaperçue en couleurs. Par contre, en noir et blanc, une vraie chance ! Je savais que le rouge, le vert et le bleu du ciel se confondraient quasiment en NB, mais il me resterait ce zigzag saisissant qui à lui seul me ferait ma photo 😉
Bien souvent, on dit que la « qualité » de la lumière est moins importante en Noir et blanc qu’en couleur. C’est probablement pour la raison évoquée ci-dessus mais aussi parce qu’en N&B on n’est pas dépendant de la température de la lumière, que la latitude tout au long de la journée est beaucoup plus ample, sans parler de l’avantage de la montée en ISO qui permet de « gommer » le bruit numérique rouge-vert-bleu.
Rendre l’absence de couleurs invisible.
Mais … car bien sûr il y a un mais… Il faut quand même que la lumière ait une certaine « qualité » de manière à ce que l’absence de couleurs ne soit pas visible. C’est en effet important d’avoir en tête que le noir et blanc est tout sauf naturel pour l’humain et il faut donc que l’absence de couleur devienne un atout et non un obstacle ! Il est vrai, comme nous l’avions vu dans le premier article, que la photo s’est historiquement « construite » en noir et blanc et que par conséquent nous avons largement assimilé sa grammaire. Mais ceci n’empêche pas que si le noir et blanc n’est pas pensé et que la photo n’est pas construite en tenant compte de l’absence de couleurs, il y a toutes les chances pour que notre photo soit « insatisfaisante ».
En noir et blanc, il faut donc avoir un oeil particulièrement attentif à la différence de luminosité et aux lignes et aux formes.
Au contraire, dans la photo ci-dessous la couleur manque cruellement ! Lors de la conversion en NB j’ai un peu éclairé les visages des 2 personnages de droite mais ça ne suffit pas pour leur laisser la place qu’ils méritent d’occuper. Le problème vient du mur très clair qui sépare ces personnages de la photo de mariés. En noir et blanc ce mur happe littéralement l’attention et crée une délimitation trop importante pour qu’on fasse spontanément le rapprochement entre les 2 zones. Cette photo doit définitivement rester en couleurs !
Et la composition alors …
Voir en noir et blanc à la prise de vue demande beaucoup d’entraînement car on se laisse très facilement tromper par nos sens. Comme je le disais plus haut, nous voyons naturellement en couleurs et spontanément nous sommes attirés par elles !
La photo ci-contre en est un exemple typique. On sait maintenant que ce ne sont ni la teinte ni la saturation qui ont une importance pour le NB mais la luminosité de la couleur. J’aurais juré au moment de la prise de vue que la luminosité du rouge était largement plus élevée que le vert/gris du fond. Et bien il n’en est rien, preuve en est. Mais je pense que j’ai été trompée par le rouge très lumineux qui se détachait sur le ciel en oubliant la partie plus sombre. En soit ce n’est pas grave car je prévoyais cette photo en couleurs mais si je la voulais en noir et blanc ça aurait été foutu 😉 Il aurait fallu que je change radicalement de composition en plaçant les lampions sur l’arrière plan le plus clair, c’est à dire sur le ciel.
Prenons un autre exemple avec la photo ci-contre. Cette photo n’a absolument rien d’exceptionnel mais je trouve qu’elle illustre parfaitement la problématique de la composition en couleurs ou en NB.
En couleurs donc, la scène n’a pas grand intérêt mais la composition est malgré tout correcte avec le point fort au tiers. C’est surtout la couleur rouge de la veste et de la serviette qui attire notre attention. Les arbres ne sont pas coupés n’importe comment et il y a ce petit trait de ciel bleu vif qui apporte de la fraîcheur et on retrouve du bleu atténué dans l’eau. Bref, c’est une photo banale mais à l’équilibre agréable.
J’ai donc converti cette photo en Noir et blanc et là, la photo est encore plus banale, pour ne pas dire définitivement sans intérêt ! Le rouge a évidemment complètement disparu, le ciel très lumineux est encore là mais son reflet dans l’eau étant beaucoup moins lumineux, il prend le même gris que le vert des arbres et de l’herbe.
Ainsi, si j’avais voulu saisir la scène en noir et blanc, j’aurais dû réaliser une composition complètement différente ! Je pense qu’ici, j’aurais dû couper le ciel et faire honneur au reflet des arbres dans l’eau. Mes personnages se seraient donc retrouvés au tiers supérieur.
Vous voyez donc à quel point il est important d’anticiper une version noir et blanc ? Parce que là, ma photo est irrattrapable, même en effectuant un crop drastique il me manquerait toujours le reflet des arbres et on perdrait l’intérêt du paysage.
Aussi, le meilleur moyen pour éviter les « déchets » (et par la même occasion exercer son oeil !) c’est de passer votre appareil photo en Noir et Blanc au moment de la prise de vue. L’idéal est de choisir le format Raw ou NEF (Nikon), RAF (Fuji), CR2 (Canon), …. En effet, si vous photographiez en noir et blanc avec ce format, vous aurez votre aperçu au moment de la prise de vue en NB mais l’original en couleur est conservé ! Ainsi, au moment de l’importation sur votre logiciel de traitement d’images, vous retrouvez la couleur. Ne reste plus ensuite qu’à travailler le type de noir et blanc que vous souhaitez appliquer. Par contre, si vous choisissez le mode N&B en format JPEG, vous ne pourrez plus revenir à la couleur. Mais de toutes les façons, je ne saurais recommander le JPEG…
Personnellement, c’est ce que je fais toujours car en plus de permettre de visionner en NB, le fait de photographier directement dans ce mode permet d’adapter ma composition.
Nos appareils photos nous proposent souvent différents types de « rendus », que ce soit en couleurs ou en NB. Personnellement encore une fois, je choisis toujours le plus neutre possible car ce qui m’intéresse au moment de la prise de vue, ce n’est pas le rendu final mais les éléments de composition. Le rendu final, pour moi, c’est une affaire qui se traite sur l’ordinateur, sur un bel écran et bien calibré. C’est en quelque sorte ma chambre noire 😉
Les outils d’aujourd’hui nous permettent de passer de l’un à l’autre tellement facilement que ça serait vraiment dommage de s’en passer ! Sur mes 2 appareils photo, je me suis d’ailleurs fait des raccourcis rapides pour pouvoir passer d’un mode à l’autre en un clin d’oeil. Vous devriez en faire de même 😉
Enfin, je vous conseille vivement si vous êtes amené à convertir une image en noir et blanc à postériori, de vous poser la question de pourquoi ça fonctionne ou non, qu’est-ce qui change, est-ce que le message est modifié. Plus vous analyserez vos images, plus vous serez en mesure de faire les bons choix à toutes les étapes !
Voilà, ma petite leçon sur le noir et blanc et la couleur est terminée. J’espère que j’aurais réussi à vous convaincre que le choix du noir et blanc ou de la couleur n’est pas juste une question d’esthétisme ou de goût mais qu’il procède d’une posture délibérée aux implications multiples.
Être conscient de ces choix, les anticiper, les contrôler, c’est être pleinement réalisateur de ses images !
Quel formidable article! Merci Laurence un vrai magistral cours pour moi!
Aaaah cher Chri ! Je suis absolument ravie que cet article vous ai plu !!!!!!!
Encore une fois tu nous démontres toute ta maitrise du sujet. Passionnant et très instructif, bravo Laurence.
Merci chère Christine ! Maîtrise est vite dit car il y a toujours tellement de doutes et de questionnements ! Mais tu me connais, je ne peux pas m’empêcher de poser la question du « pourquoi »;) 😉
A lire et à relire, j’ai appris des choses et t’en remercie grandement
Bonjour Philippe !
Je suis ravie que tu aies appris et je te remercie de ton passage ici ! Maintenant, il n’y a plus qu’à appliquer et … adapter 🙂 🙂
Bonjour Laurence !
De ce pas, je vais faire des essais et passer mon boitier en n&b.Exercice déjà tenté mais je pense qu’il faut taper sur le clou, être patient, mettre un mécanisme de réflexion en place et s’y habituer comme à un outil. Composer avec les lignes te semble-t-il très différent que de composer avec la couleur ?
Merci Laurence pour ces lumières…
Michel
Tu verras, c’est une aide vraiment précieuse dont il serait trop dommage de se passer ! Ca peut suprendre un peu au début, mais on s’y habitue très très très vite !
Concernant la composition, je pense que globalement c’est très différent si on voit en couleur ou en NB. Mais bien sûr, si composer avec les lignes se fait aussi en couleur, c’est prépondérant en NB 🙂
Bonjour Laurence !
De ce pas, je vais faire des essais et passer mon boitier en n&b.Exercice déjà tenté mais je pense qu’il faut taper sur le clou, être patient, mettre un mécanisme de réflexion en place et s’y habituer comme à un outil. Composer avec les lignes te semble-t-il très différent que de composer avec la couleur ?
Merci Laurence pour ces lumières…
Michel
[…] Lire la seconde partie […]
[…] de directement voir en n&b à la prise de vue, ce qui garantit une composition 100% ad hoc (voir à ce sujet cet article sur le noir et blanc). Or avec cette visée télémétrique je me retrouve comme avec un appareil reflex où je ne peux […]