Je dis souvent que la photographie est probablement un des arts qui demande le moins de virtuosité technique. Attention, cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas de difficultés et qu’il suffit d’appuyer sur le déclencheur pour réaliser une bonne photographie ! Parvenir à maîtriser les réglages de l’appareil photo demande un réel apprentissage, mais au final, il ne s’agit que de maîtriser 3 paramètres purement techniques : l’ouverture du diaphragme, le temps de pose et la sensibilité. Une fois qu’on a compris comment ces 3 principaux paramètres* interagissent entre eux, qu’on les a parfaitement assimilés et que l’on sait en jouer pour obtenir le résultat que l ‘on souhaite, on a toutes les chances de réussir une bonne photo, techniquement parlant.
Le pendant à cette « relative simplicité », c’est que le photographe s’appuie sur le réel et dans la plupart des cas, il n’a qu’une fraction de seconde pour déclencher. Qu’est-ce que cela signifie ?
D’une part, le réel est bien souvent extraordinairement complexe, et en tout cas beaucoup plus que ce que l’on perçoit ! C’est ainsi que la grosse, grosse, grosse difficulté est de choisir très rapidement quelle partie de la scène on veut photographier. C’est ce qu’on appelle le cadrage. Ainsi, mis à part des cas particuliers tels que le still life (lequel d’un point de vue formel se rapproche plus de la peinture), la virtuosité du photographe va bien souvent consister à évaluer instantanément quelle partie de la scène est intéressante, celle qu’il faut éliminer et celle qu’il faut conserver. D’autre part, il va falloir que le photographe, par le biais de la composition, agence les éléments à l’intérieur de ce cadre de manière à guider le « spectateur » dans sa lecture finale de la photographie. Ce dernier aspect est absolument primordial car c’est lui qui va donner du sens.
Enfin, le photographe entretient avec le temps qui passe une relation très particulière. Ce qui est passé ne reviendra jamais ! Vous voyez où je veux en venir ? A chaque instant qui passe une nouvelle photographie est possible et surtout celle-ci sera absolument unique ! Cela ne veut pas dire qu’une bonne photographie est réalisable à tout moment et on sait bien qu’il y a un « avant » et un « après » au cours desquels la bonne photographie nous échappe. Henri Cartier Bresson exprime si bien cette fugacité du temps et l’importance du cadrage et de la composition :
L’appareil photographique est pour moi un carnet de croquis, l’instrument de l’intuition et de la spontanéité, le maître de l’instant qui, en termes visuels, questionne et décide à la fois. Pour «signifier» le monde, il faut se sentir impliqué dans ce que l’on découpe à travers le viseur. Cette attitude exige de la concentration, de la sensibilité, un sens de la géométrie. C’est par une économie de moyens et surtout un oubli de soi-même que l’on arrive à la simplicité d’expression.
Photographier : c’est retenir son souffle quand toutes nos facultés convergent pour capter la réalité fuyante ; c’est alors que la saisie d’une image est une grande joie physique et intellectuelle.
Photographier : c’est dans un même instant et en une fraction de seconde reconnaître un fait et l’organisation rigoureuse de formes perçues visuellement qui expriment et signifient ce fait.
C’est mettre sur la même ligne de mire la tête, l’œil et le cœur. C’est une façon de vivre.
J’ai intitulé cet article « la chance du photographe » car face à ce réel si complexe, le photographe parfois ne fait qu’accueillir les éléments qui lui parviennent, sans forcément de préméditation. J’appelle cela chance car il n’y a pas de maîtrise tout simplement sur les événements qui adviennent au moment de la prise de vue et pourtant, c’est comme si tout se mettait en place spontanément. La photo ci-dessous en est, à mes yeux, une bonne illustration.
J’étais en train de cadrer le toit enneigé de cette maison. J’avais été attirée par la similitude entre les sortes de sculptures représentées sur le fronton et les branches des arbres qui encadraient la maison. Au moment du déclenchement, quelle n’a pas été ma surprise lorsqu’un oiseau s’est envolé, se positionnant exactement dans un espace libre ! Qui plus est, les ailes déployées de l’oiseau « réel » sont quasiment identiques à celles de l’oiseau représenté sur le fronton. Chance, hasard, concours de circonstances, je ne sais pas comment appeler cela, mais le fait est qu’il y a une concordance assez incroyable.
Et je crois vraiment que ce qui m’émeut le plus en photographie, c’est ce rapport à l’instantanéité du temps. Cette photographie ne pourra jamais être refaite telle quelle, l’instant que j’ai saisi est unique.
En conclusion, et pour citer encore une fois Henri Cartier Bresson :
La photographie n’est ni prise ni saisie de force. Elle s’offre à vous. C’est la photo qui vous saisit.
Alors bien entendu, tout cela amène à la question de la création en photographie et c’est un sujet sur lequel je reviendrai dans les prochaines semaines.
Et vous, qu’est-ce qui vous touche dans la photographie ?
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*Il y a bien entendu d’autres paramètres purement techniques mais à mes yeux ils sont moins fondamentaux, tels que le mode de mesure de lumière, le réglage de la balance des blancs, l’utilisation du flash, …
Quand il s’agit d’une unique image, je suis d’accord, la chance… Mais quand c’est presque systématiquement la chance, il y a quelque chose d’autre qui entre en jeu. Je pense à une foultitude de tes images où autre chose s’est manifesté.
L’instinct, le talent, la grâce? Quel nom donner à ce plus? Bien à toi, Laurence.
Une citation que j’aime beaucoup et qui, je trouve, rejoint ton article en se vérifiant avec ton image : «La photographie est une brève complicité entre la prévoyance et le hasard». John Stuart MILL
Quel grâce dans cet envol, et ce haut de maison est magnifique!
Le jeu entre les 3 arbres et les 3 oiseaux, cet échange subtil où chaque personnage, qu’il soit végétal ou animal, porte à la fois un univers propre et échange cependant avec les autres, c’est magique. Quel beau moment saisi, merci Laurence.
Ce qui me touche en photographie? Difficile à répondre, tant de choses!!! J’ai plaisir à voyager au travers d’un univers personnel, également à découvrir des pays où je ne suis jamais allée et où je n’irai jamais!!!
J’aime la subtilité de la composition d’une image qui peut sembler a priori « simple », mais qui en réalité est le résultat d’un long apprentissage, tant de technicité « pure » de l’appareil que des paramètres qui permettent de réaliser l’instant saisi; éducation de l’oeil et apprentissage également de la capacité à saisir intuitivement un instant, l’instant.
Je suis également émerveillée de la richesse d’univers si divers au travers de l’art photographique, moi qui suis musicienne. Difficile en fait, d’expliquer mon admiration et mon émotion pour l’art photographique. Je ne sais pas, cet art me parle parce que c’est une façon de parler et de montrer la beauté du monde qui enrichit et fait du bien. Belle journée à toi, Laurence.
Bel article. La chance est bel et bien un élément qui fait ou non une photographie, mais le photographe doit aussi la susciter (on parle de « piège photographique »; le photographe doit bien sûr apprendre les quelques élément de techniques indispensable à la maitrise de son matériel, mais éduquer aussi son regard, ce qui est la part du cadrage. Dans l’image en exemple, Laurence a bénéficier de la chance, mais au départ, l’image était et bien exposée et bien cadrée.
Très beau texte, et que dire de la photo! C’est vrai que c’est une chance incroyable…quoi que…une chance incroyable ou une chance provoquée?? Plus on pratique, plus on est à même de capter cet instant qui bien que fugace, doit arriver de temps en temps.
Bonjour Laurence ! Et bien, quelle photo ! Vraiment très belle, bravo 🙂 La chance fait parti de la photographie, mais il faut aussi savoir la provoquer. (J’aime moins la colorimétrie rose de l’image, mais c’est une affaire de goûts personnels ^^)
Ce qui m’émeut c’est la possibilité de véhiculer des émotions, un sentiment… Une photo, en ce qui me concerne, est indissociable du moment ou je prends la photo, de ce que je ressens, sens. Et quand je perçois ça dans une photo c’est gagné.
Très belle photo, même sans l’oiseau, qui n’est que la cerise sur le gâteau. Même commentaire que Francis au dessus donc.
PS : Et puis, tu aurais pu aussi attendre l’oiseau, alors ce n’était plus de la chance mais de la patience… 😉
Et puis, t’es-tu demandé pourquoi donc tant d’oiseaux viennent-ils voler au bon endroit du ciel sur tes pellicules et le plus souvent juste au moment où tu appuies?
La chance… Peut-être qu’elle ne se manifeste que si l’on est disponible, dans un état de perception intense, que l’on se sent soi-même au bon endroit et à la bon(heure)… Pour moi, il n’y a pas vraiment de hasard.
Bravo pour cette image pleine de poésie, de conviction calme et heureuse.
Quel bel article : merci! La technique est une chose à acquérir, c’est vrai, mais ensuite, comme dans tous les métiers « manuels », il n’y a plus qu’à laisser parler l’émotion et surtout la traduire efficacement, pour mieux la partager. Mais si la chance s’en mêle, c’est cadeau!
Et si l’on (re)parlait de synchronicité ? Cette théorie si extraordinaire de Jung qui met en relation le temps, l’espace extérieur et l’espace intérieur qu’il appelait l’inconscient collectif et qu’il reliait à l’esprit et la philosophie du TAO. Laurence, de ta lointaine Chine, ne serait-ce pas l’occasion de te pencher sur LAO-TSEU, un autochtone qui pourrait apporter quelques réponses fugaces, mais oh combien précieuses à tes réflexions, sans parler de l’extraordinaire yi-king, qui, par chance, fait toujours tomber les pièces ou les baguettes pour composer un hexagramme qui répond si exactement et circonstanciellement à la question qu’on lui pose avant de les lancer…
Peut-être ta chance est-elle de pouvoir découvrir, de l’intérieur, au milieu du pays qui l’a vu naitre, ces outils métaphysiques et philosophiques qui pourraient ancrer un peu plus profondément dans les racines de l’intelligence du monde ton génie photographique…
… à moins que ce ne soit l’inverse : les racines du génie du monde dans ton intelligence photographique 😉
Pour en savoir un peu plus sur Jung et la synchronicité, Lao Tseu et le taoïsme, ainsi que le Yi-king, c’est par la :
https://fr.wikipedia.org/wiki/Synchronicité
http://www.syti.net/TAO/Tao.html
https://fr.wikipedia.org/wiki/Yi_Jing
Bonjour Laurence.
J’ai eu bien du plaisir à lire ton billet. Parler de chance est peut-être un peu réducteur. Je n’aime pas cette notion là. Quelqu’un qui me dirait en regardant la photo qui te sert de support à l’article « bofff, elle a eu de la chance!! », moi j’ai envie de lui en coller deux.
100 personnes vont avoir la « chance » de voir ça, mais peu vont avoir l’oeil et le talent pour en tirer une photo.
« Et vous, qu’est-ce qui vous touche dans la photographie ? »
Ouh là, là.. tout une question ça.
Ce qui je crois me touche (et me motive) le plus, c’est que la photo est toujours à refaire. Un même sujet, vu par un oeil différent avec une lumière différente, un moment particulier et c’est une autre photo. Presque un infini.
Bonjour @chri , @le-ptit-nicolas , @cecile , @goussard-francis , @donlope , @thomas-benezeth , @sem , @pastelle , @annick , @gine , @jean-paul-ramel et @dominique-bouvet !
Je suis très heureuse de découvrir vos réactions et de voir que ce fichu débat sur la technique et « l’oeil du photographe » continue d’animer nos conversations de photographes 😉
En relisant mon texte et suite à vos réflexions, je me rend compte que je ne me suis peut-être pas exprimée clairement sur un point. Ce n’est pas parce que techniquement la photographie n’est pas extraordinairement difficile (comme peut-l ‘être par exemple le dessin ou la scultpure) qu’elle ne comporte pas de grands défis ! Bien au contraire. La capacité de réagir en quelques instants face à une situation en est par exemple un, et il est évident que plus on pratique la photographie, plus on travaille cet aspect (en amont en analysant les conditions de lumière, de cadrage, de composition et en aval en analysant ce qui ne va pas dans la photographie en en tirant des leçons pour le futur), moins le facteur chance occupera de place. Encore une fois, le pendant à la relative facilité technique, c’est le développement de capacités cognitive, sensorielle, réceptive immédiates qui sont très difficiles à acquérir dans le contexte de la prise de vue photographique et qui demande énormément de travail. Chose dont ont moins besoin nos amis dessinateurs ou sculpteurs qui eux n’ont pas le temps qui joue contre eux (ou pour eux !).
Cela me fait penser à une situation que je rencontre assez fréquemment. Lorsque l’on parle de nos arts respectifs avec des peintres, bien souvent ceux-ci ont tendance à déprécier la photographie sous prétexte (entre autres …) de son peu de technicité justement et ceci grâce aux appareils photo d’aujourd’hui qui peuvent tout faire pour nous. Bref, il suffit d’appuyer sur un bouton. Je leur répond toujours que je suis entièrement d’accord, qu’appuyer sur un bouton n’est pas plus difficile que … de tenir un crayon ou un pinceau en main. Je reconnais entièrement que je suis incapable de réaliser un beau dessin ou une belle peinture, par contre, je suis parfaitement capable de mal dessiner et de mal peindre. Je le fais d’ailleurs depuis que je suis toute petite ! Sauf à de très rares occasions, j’ai eu ce « coup de chance » que mon dessin n’était pas si nul que ça. Par contre, ne sachant pas pourquoi je n’ai jamais pu le reproduire…
Pour en revenir donc à cette photo, je continue à dire qu’il y a eu de la chance ( ou de la synchronicité comme tu nous le rappelles @jean-paul-ramel – tiens, on retrouve ce rapport au temps ! et qui rejoint ce que tu dis @annick ). Oui @chri , c’est vrai que dans mes photos j’adore lorsqu’un oiseau vient se placer dans le cadre. Je les cherche bien souvent, je les attends, je les scrute. Mais à Genova, c’était bien plus facile tant il y a d’oiseaux dans cette ville ! Des mouettes, des pigeons, des perroquets, des hirondelles, des pies, des corbeaux, des moineaux et tant d’autres dont je ne connais pas le nom. Mais ici, à Nanjing, il y a des oiseaux, je les entend mais … je ne les vois pas, ou rarement, ou alors ils volent bas … J’ai donc presque renoncé. Notes que je dis « presque » 😉 Dans le cas de cette photo, je me souviens que j’avais entendu qu’il y avait de l’activité dans les arbres voisins, mais j’avais très froid (il venait juste de neiger) et sincèrement je ne comptais pas attendre que quelque chose se passe de ce point de vue. Comme vous le dites @pastelle et @gine , la photo telle quelle sans l’oiseau en vrai me convenait bien. C’est pourquoi cette photo est exactement ta citation @le-ptit-nicolas et rejoint entièrement ce que vous dites @goussard-francis et @donlope. Prévoyance, hasard, disponibilité, les frontières sont plus que floues, mouvantes et inter-pénétrables. En Chine on parle de zone grise.
Comme je reconnais bien ton enthousiasme @cecile ! Tu es une vraie épicurienne 🙂 Mais sur le fond, pourquoi aimes-tu la photographie, qu’est-ce qui fait qu’elle a une place à part dans le monde des arts visuels ? De la même manière @sem, je comprend parfaitement ce que tu veux dire lorsque tu parles d’émotion, mais qu’est-ce qui va distinguer cette émotion photographique du peintre par exemple ? C’est vraiment intéressant de répondre à ces question 🙂
Je crois qu’on est sur la même longueur d’onde @dominique-bouvet avec des mots différents (mais pas tant que ça) : une photographie, c’est un instant donné à l’éternité.
Merci à tous pour vos interventions qui contribuent à réfléchir et surtout à mieux connaître, pour nous mêmes photographes et pour les autres, ce qu’est la photographie, pourquoi et comment nous la pratiquons ! Je suis convaincue pour ma part que plus nous en explorons le sens meilleures seront nos photographies car alors … moins il y aura de hasard 😉
Bonsoir Laurence,
Je suis ravie de te re-lire, surtout avec ce genre d’article au sujet passionnant et je me réjouis à l’avance de savoir que tu vas l’aborder à nouveau dans les prochaines semaines. Parce que, en fait, nous faisons des photos, des tas de photos, presque quotidiennement, (je parle pour moi) mais c’est bien également de se poser et de réfléchir à cette activité si prenante 😉
Pourquoi ce besoin d’immortaliser l’instant, et pourquoi cet instant plus qu’un autre ? … une émotion, un sentiment ? une envie de partage, c’est sûr, et lorsque l’on a en retour la même perception de la part du lecteur, c’est très réjouissant.
Je suis plutôt attirée par les images épurées, facilement lisibles (rien qui vient heurter la lecture) comme celle que tu nous présentes aujourd’hui, et s’il y a en plus un oiseau (comme tu sais si bien les capturer), c’est encore mieux 😉
C’est une magnifique photo, vraiment 🙂
Bonjour @marie 🙂
Je suis contente que tu sois d’accord avec moi 😉 Il me semble pour ma part essentiel de bien comprendre l’art que nous exerçons, et pas seulement en pratique car c’est seulement alors qu’on parvient à exceller, à aller au coeur même de son essence. On le voit bien, tous les grands artistes ont élaboré des réflexions très profondes qui ont largement contribué à la manière dont ils créaient (créent). Ce qui est passionnant dans cette démarche, c’est qu’une question en appelle une autre et on se rend compte à quel point tout cela est bien plus complexe qu’on ne le pense à priori.
Bon, on va me (nous) traiter d’intello, mais … sans regrets 😉
Merci Marie de ton passage !
Comme vous n’aimez pas twitter, c’est ici que je viens vous féliciter.
Bravo pour vos articles 😉
Je vais suivre votre blog de très près ..
Bonjour @noel 🙂 Olala, oui, c’est vrai que Twitter n’est pas fait du tout pour moi. Vous avez vu ? Je suis bien bien trop bavarde. Alors la solution de la publication automatique, elle est 100% pour moi 😉
Blague à part, merci de vos encouragements, ils me touchent beaucoup et sont un vrai moteur pour poursuivre l’aventure 😉
[…] C’est au détour d’un de ces endroits que j’ai pu réaliser la photo que je vous ai montrée dans un des articles précédent à propos de la « chance du photographe« : […]