Et bien oui, j’ai envie de poser cette question, car au delà d’apprendre à lire, écrire, compter, comprendre le monde dans lequel on vit, d’où on vient et où on va, ça donne aussi des désirs, des rêves, des espérances, bref, des ambitions. Je ne veux pas dire que c’est uniquement par ce biais qu’on accède à ces sentiments, loin s’en faut. Car l’école provoque également beaucoup de désillusions et de déceptions. Et c’est de ce constat ambigu que j’ai envie de vous parler concernant l’enseignement en Côte d’Ivoire et à Assikoi en particulier. Un des bâtimentsDans la classeDans la classe Il faut savoir tout d’abord que la Côte d’Ivoire ne compte pas moins de 60 langues différentes. D’un village à l’autre on peut ne pas se comprendre. Car d’après ce que j’ai pu saisir, ce sont véritablement des langues à part entière avec leurs structures grammaticales propres. La solution pour ce très jeune pays était de garder l’héritage de la colonisation française et de laisser le français en tant que langue véhiculaire. Donc, à l’école, on parle, on écrit et on lit en français, et à la maison, on parle l’Attié (la langue d’Assikoi). Vous me direz, je suis bien placée pour dire que cela n’est pas un problème : je suis mariée à un algérien qui a fait toute sa scolarité en français mais qui parlait arabe dès la sortie de l’école. Nos propres enfants vont à l’école en italien et on parle français à la maison. Sauf que, sauf que … J’ai constaté à Assikoi, et pour les enfants comme pour les adultes, que s’ils comprennent assez bien le français, ils ne le parlent pas très bien, voire parfois, pas du tout. Et pourtant, tous les enfants sont supposés aller à l’école. Quelle explication donner ? La timidité par manque de pratique courante me semblerait être une des raisons. En classe, ils sont environ 50, et il est sûr que certains parmi eux ne disent quasiment jamais un mot. Dans la classeL'orthographe Par ailleurs, dans la journée, alors que tous ces enfants sont supposés être en classe, on en voit beaucoup dans les rues. Quand je leur demandais pourquoi ils n’étaient pas à l’école, pour les uns le professeur n’était pas là, pour les autres il fallait qu’ils soient plus propres, pour d’autres encore ils devaient travailler. C’est qu’il me semble que tous ne sont pas égaux dans l’accès à l’enseignement, et notamment pour des raisons économiques. Bien que l’école soit gratuite et que le gouvernement fournisse quelques fournitures et livres scolaires en début d’année, les besoins sont beaucoup plus importants. Je dis beaucoup car pour une famille dont le souci principal est de trouver de quoi se nourrir, l’achat d’un livre, d’un cahier, de craies, de stylos n’est pas un acte anodin, d’autant que leurs enfants sont nombreux, très nombreux. Et souvent, il y en a quelques uns qui sont sacrifiés au profit de frères ou de sœurs. En feuilletant les cahiers et les livres scolaires des enfants, j’ai constaté que le niveau général demandé est paradoxalement très élevé. Certains enseignements sont très pointus pour leur age. Mais il est vrai que beaucoup arrêtent l’école à la fin du primaire. C’est une course contre la montre. Mais comme je comprends que pour certains ce soient des difficultés insurmontables ! Que de fois j’ai entendu « c’est mon frère, c’est ma soeur qui va à l’école, moi, je travaille ». Pourquoi lui ou elle est sacrifié, qu’est-ce qui a justifié cette décision ? Et puis il y a la faim. Beaucoup ne mangent presque pas de la journée car bien entendu il n’y a pas de cantine scolaire et certains habitent trop loin pour rentrer chez eux le midi. Comment garder les idées claires et l’esprit alerte avec le ventre vide ? Comment avoir envie d’apprendre avec la perspective d’une journée entière dans un classe surchauffée ? Ceux qui y arrivent sont sont rares… Le bureau du maîtreAu moment de manger … Puis ils vont au collège. Ah le collège, quelle aventure ! Car pour le moment, il n’y en a pas encore à Assikoi. En principe, l’année prochaine, il devrait en sortir un de terre. Donc pour le moment les enfants vont à Adzopé, à 15 km de là. Bien entendu, il est impensable de faire le trajet tous les jours. D’abord, ces 15 km sont relativement éprouvants car c’est une piste. Je l’ai connue par saison sèche. Quand les éléments se déchaînent à la saison des pluies, on m’a dit qu’il arrivait qu’elle soit absolument impraticable. Si les gens d’ici le disent, il faut leur faire confiance … Ensuite, ça reviendrait trop cher. Donc ces enfants restent toute la semaine à Adzopé. Mais ne vous imaginez pas qu’ils sont dans un pensionnat avec un encadrement d’adultes. Non, il faut qu’ils se débrouillent. Certains vont en famille, d’autres chez l’habitant et enfin il y a ceux qui louent un local en commun avec d’autres enfants et ils se débrouillent seuls. On grandit vite ici. Je revois encore Willy, un jeune garçon de 6ème qui est venu me dire au revoir le dimanche soir avant de partir sur Adzopé. Il avait les yeux plein de larmes. Pourquoi ? Et quand il s’est éloigné, il m’a paru si petit, si jeune, si vulnérable. J’aurais tellement aimé savoir qu’il ne prenait pas un bus dont on ne sait pas comment il roule encore, qu’il n’allait pas se retrouver seul avec d’autres enfants pour se faire à manger, laver ses vêtements, faire ses leçons, se réveiller, faire quelques courses. J’aurais tellement aimé que ça soit moins dur pour lui. Les leconsles leçonsles leçons Je ne pouvais pas finir cet article citer le répétiteur d’Assikoi, je veux parler de Yul. Yul, comme Yul Bruner. Les habitants lui ont donné ce surnom et je n’ai pas réussi à en connaître les raisons. C’est un jeune homme dont le dynamisme est contagieux. Rien ne lui échappe, il est partout, il s’occupe de tout, il supervise les chantiers et surtout, surtout, il a une classe. Tous les soirs, de 18h30 à 21h30, il donne des leçons de rattrapage à une vingtaine d’élèves de tous les niveaux de primaire. Pourtant, Yul n’est allé que jusqu’à la 3ème du collège. Il n’a pas eu son examen. Son rêve est de rassembler suffisamment d’argent pour pouvoir un jour retourner au collège, passer son examen et ensuite continuer ses études pour être enseignant. Mais seul un élève sur deux paye ses cours. Alors, bien sûr, c’est difficile d’économiser. Mais il continue car il nous dit qu’il « aime tellement ça ! ». 100% des élèves qui passent par sa classe vont au collège. Yul, le répétiteurLe cours du soirLe cours du soirLe cours du soir Une fois le collège terminé , il y a le lycée, et après le lycée, il y a la fac, et après la fac, il y a le chômage, la débrouille, l’expatriation. La désillusion. Combien sont-ils ces jeunes qui ont réussi à franchir toutes les barrières culturelles et économiques pour se retrouver à ouvrir un commerce de misère à Abidjan ? Combien sont-ils pour lesquelles leurs familles se sont sacrifiées et que ces jeunes ne peuvent pas aider en retour ? Combien sont-ils à tenter l’ailleurs, et notamment les pays francophones occidentaux ? Beaucoup partent, peu en reviennent. La côte d’Ivoire se vide de ses intellectuels. Elle forme à perte et enrichit ceux qui sont déjà riches. Est-ce cela l’ambition des dirigeants de ce pays ? En Côte d’Ivoire, l’école ne tient pas ses promesses. L'école offre-t-elle un avenir ?

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8 pensées sur “L’ECOLE, A QUOI CA SERT ?

  1. Emotion/reaction : Les larmes perlent au bord de mes yeux à lire et regarder ton article… mais est-ce vraiment l’école qui ne tient pas ses promesses ? La responsabilité de ces désillusions, de ces décalages entre l’effort et le résultat me semble beaucoup plus complexe… (et je suis sûre que tu en seras d’accord) Mais tu as le mérite de mettre le doigt (et un oeil!) sur une problématique auquelle tout me monde devrait être sensible pour essayer de parfaire les choses et préserver la part de rêve auquel chaque être humain, et d’autant plus les enfants, devrait pouvoir prétendre…

  2. Bien sûr Marie-Laure, la responsabilité de tout ça ne repose pas uniquement sur l’école. Mais quand même, j’ai envie de reposer la question encore : l’école, à quoi ça sert vraiment? Allez, soyons encore un peu plus iconoclaste : l’école, à quoi ça sert quand on vit dans un pays pauvre ? A quoi ça sert si l’enseignement n’est pas adapté à la culture ? A quoi ça sert si c’est pour générer du fantasme ?

  3. Un jour j’ai eu, au cours d’un de mes voyages à Assikoi à faire soigner une petite fille. J’ai payé le médecin et les médicaments. Mais le problème a été de faire comprendre à la grand- mère illettrée et d’un certain âge, qui avait l’enfant en charge et qui ne parlait que le Hatier comment administrer les médicaments à sa petite fille. J’ai été obligé de confier l’enfant à une jeune femme pour éviter des erreurs de posologie. Voilà aussi pourquoi l’école est importante. Une maman illettrée ne peut pas bien soigner son enfant. De plus, elle ne peut pas quitter seule le village. A Abidjan , il vaut mieux parler français.
    Robert Mondange. Les Amis du pays d’Assikoi.

  4. On a parfois aujourd’hui le sentiment que l’école a perdu son sens : la société ne lui en donne pas clairement, les enseignants ne voient plus le sens de leur métier et les élèves celui de leurs apprentissages… Est-ce si simple ?
    Au plus près de l’établissement et de la classe, différents auteurs montrent comment ce sens se conquiert au quotidien, seuls ou en équipe.
    Parce que nous osons vouloir « changer la société pour changer l’école, changer l’école pour changer la société », LE gouvernement ou la société ne pouvait faire l’économie d’une interrogation moderne du sens de l’école. Ici et maintenant, se poser la question du sens, c’est aussi porter le plus lucidement possible nos responsabilités pédagogiques et éducatives, entre doute et certitude, utopie et réalisme, créativité et résistance.

  5. Dans l’histoire humaine, le savoir se trasmettaitavantpar le geste: comment cueillir? comment chasser?. Le savoir était synonyme de ‘survivre’. Le primate que nous fumes, a évolué pour utiliser le langage pour transmettre ses connaissances de plus en plus évoluées, de plus en plus abstraites touchant à plus que la chasse, en l’occurence, l’agriculture et la domestication des animaux. Ce mouvement s’est encore amplifié avec l’invention de l’écrit. L’école telle que nous la connaissons aujourd’hui date certainementdes grecs voire avant. L’abstraction de la chose et de la pensée ont rendu possible la transmission de concepts et de démarches qui servent d’abord dns la vie quotidienne. Les mathématiques ne sont que le langage universel permettant de décrire le monde et ses phénomènes dans un langage globalsé (la globalisation ne date pas d’aujourd’hui). Avec le temps, on a perdu le sens meme de l’école et elle est devenu par la force des choses un instrument d’uniformisation. Qu’elle soit laique, républicaine, religieuse, spécialisée, etc… l’école d’aujourd’hui PRODUIT des citoyens travailleurs en masse. Ce schéma était valable à une certaine époque et pour une certaine population: elle permettait de répondre aux besoins de la société S à un instant T. Qu’en es-l aujourd’hui. L’Ecole produit partout des chomeurs, est-ce de sa faute ou est-elle simplement le reflet de sa propre société? Le cas de la Cote d’Ivoire n’est malheureusement pas isolé. Que de pays produisent des élites qui ne les serviront pas? Que les visions qui guident ces pays soient malsaines(l’élite est bannie car elle dérange etfais bouger les choses) ou naives (ayant un espoir que cette élte permettra un jour de rattraper le retard de développement), le rsultatest le meme. Les pays en voie de développement se saignent pour éduquer sa jeunesse qui ira servir sous d’autres cieux ou qui sera sacrifiée localement. N y a t-il pas un réflexion de fond à mener concernant l’Ecole y compris dans les pays dits développés? A trop vouloir perpetuer un système, certainement valable à certaine période, mais non adapté aux conditions actuelles? La Réalité est certainement complexe et il n’existe certainement pas de recette miracle mais ton article pose le constat exact avec une vision non abstraite.

  6. ETUDE NON EXHAUSTIVE DES CAUSES DE L’ECHEC SCOLAIRE.

    Enquête réalisée, à Assikoi, sur une population de 19 enfants, d’une tranche d’âge de 7 à 18 ans garçons et filles confondus.

    MAUVAISE SANTE : Il n’y a pas d’examens médicaux de dépistage des problèmes de santé. Beaucoup d’enfants ne sont pas bien quand ils vont à l’école. Le médecin sur place est débordé. Les enfants que nous avons placés en famille d’accueil et ceux qui sont parrainés sont mieux surveillés sur le plan médical, leurs problèmes de santé sont traités. Mais cela a un coût que nous assumons bien attendu.

    VUE ET AUDITION : Il n’y a pas d’examens médicaux de dépistage, ni de tests de vue, ni de tests d’audition. Un enfant qui entend mal ou qui voit mal a forcément des problèmes à l’école. Il faudrait peut être demander aux enseignants de détecter ces troubles et de placer ces enfants au premier rang. Pendant notre mission en mai juin 2008, nous avons détecté ces problèmes sur des enfants que nous parrainons, nous les avons fait examiner et avons acheté des lunettes.

    MALNUTRITION : Lorsqu’ils vont à l’école, les enfants ne mangent pas souvent à leur faim et doivent parfois sauter un repas car les parents ne peuvent pas tout payer. « Le soir, ils ne peuvent étudier leurs leçons qu’après le dîner parce que le repas qu’ils prennent à midi est un petit repas et que le soir, ils ont « des ventres troués par la faim » pour reprendre leur expression. Tout cela est dû à la pauvreté des familles.

    PSYCHLOGIQUES : Pendant les récréations, ils jouent dans la cour à cache-cache ou à se poursuivre. Certains ne jouent pas car ils sont trop tristes. « Lorsque j’étais enfant, j’étais heureuse, mais en grandissant vers huit ans, j’ai pris conscience de notre misère et je suis devenue triste » écrit une jeune fille.

    COMPREHENSION DES SONS ET DES MOTS DE LA LANGUE FRANCAISE : La pratique généralisée de la langue locale, le hâtier, le manque d’accès à la radio et à la télévision pénalisent gravement les enfants sur le plan scolaire, car l’enseignement est fait en français. Il est donc nécessaire que les enfants « baignent » dans un milieu francophone. »
    Nous avons doté chaque enfant parrainé d’un baladeur et offert des livres dont les textes sont enregistrés sur des cassettes. Même, si les textes ne correspondent pas toujours à leur culture, le plaisir de l’écoute compense et crée l’intérêt recherché. De même, si le texte ne correspond pas toujours à la « culture africaine des enfants », l’expérience montre que le plaisir de l’écoute prime sur le désintérêt lié à l’écart entre la culture européenne et africaine. Mais l’achat de baladeurs pose un problème : les piles ! Non pas l’achat mais l’élimination des piles usagées. Par exemple 20 baladeurs, multiplié par deux piles, multiplié par 12 mois. Nous avions acheté des piles rechargeables et c’est là que ça a coincé. L’utilisation du chargeur et de la cellule solaire, car il penser aussi au prix de l’électricité, n’a pas marché.
    LITTERATURE : Lire est important pour l’apprentissage du français. Il existe bien, une littérature infantile, mais comme les enfants, d’un village de brousse apprennent à lire assez tardivement, les mots qu’ils connaissent, la pauvreté de leur vocabulaire font que les histoires qu’ils pourraient comprendre ne sont plus en adaptées avec leur âge. La littérature infantile française du type « Club des Cinq » ne correspond pas à leur culture et donc ne présente pas trop d’intérêt pour les enfants. Il faut donc les aider à s’intéresser à ces livres. En ce qui concerne les ados, qui ont accès à la télévision et donc à une certaine culture européenne on peut noter un certain intérêt pour les romans. Cependant, il y a une demande très forte d’auteurs africains, pas toujours facile à satisfaire.

    CONSEQUENCES ET CONCLUSIONS: Avec les parrainages, nous n’aidons qu’une infime partie de la population, nous créons des jalousies. Il faudrait lancer des opérations de parrainages de grande envergure.

    OBSERVATION :
    Un enfant d’Afrique.
    L’enfant a cinq ans et ce matin, il regarde tristement ses aînés de huit ans qui vont à l’école. Il aimerait bien y aller, mais il n’y a pas de place pour tout le monde et pas assez d’argent à la maison pour scolariser toute la famille, il attendra d’avoir grandi ou n’ira jamais.

    L’enfant a huit ans, il va maintenant à l’école, dans la cour de récréation, il ne joue pas, il a le regard triste et un peu perdu car souvent il a faim, souvent il est malade souvent il ne comprend pas très bien. Il était habitué à la langue du village : le Hatier, mais le maître lui parle en français, l’enfant connaît un peu le français, cependant beaucoup de mots lui sont inconnus. A cinquante par classe, avec parfois trois enfants sur le même banc, le maître est débordé et ne peut pas faire face aux cas individuels.

    Le soir, quand il est l’heure de faire les devoirs et d’apprendre les leçons, l’enfant doit attendre d’avoir mangé, car dit-il « le repas de midi était trop léger et on a des trous dans l’estomac à cause de la faim »
    La nuit est tombée depuis longtemps, l’anophèle femelle, le moustique qui donne le paludisme cherche ses proies dans les zones éclairées. L’enfant qui a de la chance, étudie chez lui car il y a l’électricité dans la maison, un autre enfant moins chanceux apprend à la lumière du réverbère de la rue.

    Robert MONDANGE. Association humanitaire LES AMIS DU PAYS D’ASSIKOI.

  7. Félicitations Laurence, ce reportage est beau et poignant on ne peut rester indifférent. Cette école est magnifique de lumière et de simplicité. Vivant dans des conditions très difficiles, ce lieu doit rester un beau souvenir, un pilier mental de leur jeunesse…

    1. Bonjour Pascal !
      Si ce sujet t’intéresse, il y a dans mon portfolio à cette adresse un petit diaporama : http://www.photofolle.net/portfolio/portfolio/141/ . Tu pourras y voir également d’autres diaporama sur Assikoi 🙂

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