Diapositiva10

Nous avons donc vu dans les deux premières parties de cet exposé que la photographie ne peut en tant que telle représenter la réalité, non seulement parce que celle-ci est irreprésentable mais aussi parce qu’une photo, pour exister, passe par pas moins de 7 étapes physiques, en dehors de toute intention photographique.

Dans cette troisième partie, j’aimerais précisément parler de cette intention photographique.

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Pourquoi vous, moi photographions ?

Comme nous l’avons vu, la photographie couvre une infinitude de domaines. Mais à titre individuel, nous sortons notre appareil photo avant tout pour témoigner d’un événement, pour informer, pour donner notre vision de la représentation du monde que nous nous faisons, et parfois, dans un but artistique.

 Quand je dis « témoignage », j’englobe la photo souvenir, celle de la soirée pizza passée entre amis comme celle du coucher de soleil dans les îles Canaries ou de la parade du festival de Venise. Elle nous permet de témoigner de notre présence à ce moment et dans ce lieu et de ce que nous en retenons. Il y a souvent une dimension affective et nous y adoptons un point de vue.

 Il nous arrive aussi souvent de prendre des photos pour informer : notre intention est plus neutre (tout du moins elle est censée l’être !). C’est ce que nous attendons principalement des journalistes par exemple.

 Nous sortons également notre appareil photo lorsque, plus qu’un témoignage ou une information, nous avons envie de partager disons une certaine conception du monde et de la manière dont on se le représente. Je dirais que c’est le cas de la photographie dite conceptuelle.

 Enfin, je cite une dernière catégorie, celle de l’expression artistique qui est bien plus difficile à cerner dans la mesure où la photographie est en elle même pour certains une pratique artistique. Ce qu’on peut dire, c’est qu’on ne s’attend pas forcément à ce que les représentations du monde de la part des artistes photographes soient réalistes et qu’on admet à priori que celles-ci soient des créations.

Quoi qu’il en soit, mon objectif ici n’est pas de catégoriser (ce qui est impossible et au final pas très intéressant ni surtout pertinent). Comme je le disais dans la première partie, les frontières sont tellement fluctuantes que c’est à se demander si elles existent vraiment ! Il n’en demeure pas moins que nos a priori trouvent leur source justement à cause de cette ambivalence de la photographie.

Ainsi, on s’attend à ce qu’une photo représente une certaine réalité vécue. MAIS, comme nous l’avons vu dans la seconde partie de l’exposé, il y a un certain nombre d’étapes pour y parvenir et parmi lesquelles, au delà de l’aspect purement pratique de la photographie, la subjectivité du photographe par le biais de ses propres émotions conscientes et inconscientes, ses choix techniques et matériels ont une influence indéniable sur la photographie finale.

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 Penchons-nous dans un premier temps sur la subjectivité du photographe

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Quelque temps après avoir commencé la photo j’ai pris des cours. Je me souviens encore qu’à l’époque notre professeur nous avait dit que le photographe ne voyait pas comme tout le monde. Je dois dire que j’étais plutôt sceptique et que j’avais pris cette allégation plus comme un petit snobisme, une coquetterie pour se distinguer du « reste de la masse ». Aujourd’hui, je dois bien avouer qu’il avait raison, et je m’entends maintenant moi aussi dire à mes élèves que nous ne voyons pas comme tout le monde. Voici pourquoi.

En première instance, il y a la question du choix de la scène.

Qu’est-ce qui fait qu’on a envie de déclencher à ce moment plutôt qu’à un autre ? Qu’est-ce qui fait que notre attention est focalisée sur un événement ? Les raisons sont bien évidemment multiples, mais ce qu’on peut dire c’est que parfois c’est une scène qui trouve un certain écho, une certaine résonance en nous (à cause d’une lumière particulière, un événement, une intuition, un projet, … ?). L’intention photographique est un acte volontaire : c’est une décision active qui préside au projet. Mais c’est en même temps un acte inconscient.

Prenons un exemple : RPG (26)

Nous étions avec mon mari dans le hall d’un hôtel et attendions je ne sais plus quoi. Nous divaguions au gré des oeuvres d’art que cet hôtel présente (le Négresco à Nice). J’ai vu mon mari s’arrêter devant une statue de Niki de Saint Phalle. Aujourd’hui, je me demande encore ce qui m’a attiré à ce moment là et qui m’a incité à prendre en photo cette séquence. Est-ce parce que je connais bien mon amoureux et que je me doutais qu’il allait se produire quelques chose d’intéressant ? Justement, il n’est pas trop du genre à se faire remarquer dans les lieux publics, même si c’est son humour souvent « pince sans rire » qui me fait « craquer ». Est-ce parce que je voulais garder un souvenir de ce hall impressionnant et que je voulais intégrer un personnage pour le rendre plus vivant ? Certes, mais dans ce cas, pourquoi avoir fait cette séquence à quelques secondes d’intervalle ? Il ne se doutait absolument pas que je le prenais en photo et je ne me doutais absolument pas que cette statue de femme aux formes généreuses aurait cet effet sur lui ! Il me semble que c’est un parfait exemple de subjectivité quant au choix de la scène, où la démarche consciente et active du projet photographique (je voulais prendre en photo ce hall) se superpose avec ce qu’on pourrait appeler l’inconscient (une tension, une attirance en quelque sorte irrépressible et incontrôlable vers le sujet).

 Nous avons également vu précédemment qu’une photo doit être contenue dans un cadre.

Comment le photographe s’y prend-il ? Qu’est-ce qui va motiver la sélection des éléments qu’il va inclure dans ce cadre et ceux qu’il va exclure ? Bien souvent, notre champ de vision est soit supérieur soit inférieur à celui que nous montre l’appareil photo. On dit généralement qu’une focale de 50 mm (lorsqu’elle est montée sur un appareil dit full-frame) correspond plus ou moins à notre vision. La manière dont le photographe va choisir de couper la scène réelle est bien entendu extrêmement subjective ! Ce qui va paraître essentiel à conserver dans le cadre va être superflue pour un autre, selon l’angle de vue que le photographe adopte il lui sera possible ou non d’intégrer ou exclure un élément. Si un élément le gène, il a la possibilité de se déplacer pour l’exclure du cadre ou de changer de focale. Je crois que la première question à se poser lorsqu’on photographie une fois qu’on a décidé de la scène à photographier, c’est de se demander « comment couper », comment isoler cette scène afin de la rendre visible sur une image. Tout le reste (les réglages, le point de vue, la composition, etc …) vient après.

Portrait
Le cadrage est tout à fait subjectif. Par le fait de cadrer, le photographe prend un pouvoir énorme sur la réalité : celui de suggérer. Dans cette photo, j’ai choisi volontairement de couper le visage de cette petite fille alors même que mon intention était de faire un portrait. Étrange tournure d’esprit pour certains, il n’en demeure pas moins que ce type de photo montre parfaitement toute la subjectivité du cadrage.

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 On dit que photographier, c’est peindre avec la lumière.

Soit. Mais comme le souligne Vanlier « la lumière, agent physique ne saurait ni dessiner ni écrire » et d’ajouter plus loin : « le photon qui travers la lentille de l’objectif et altère les alogénures de la pellicule n’est pas vraiment une substance et ne produit pas d’impact ». Ce que je veux démontrer ici, c’est que d’une part dire que l’on peint avec la lumière est en soi une vision de l’esprit, une abstraction, mais que cette lumière lorsqu’elle parvient sur la surface sensible (pellicule, capteur, ..) ne possède pas de qualité intrinsèque. C’est le photographe qui lui donnera sa substance, sa « tessiture », et même sa couleur.

Ainsi, j’aime souvent dire qu’il n’y a pas de « bonne ou mauvaise » lumière. Certes on peut mesurer sa quantité, mais sa qualité est directement dépendante de la perception du photographe. Telle lumière inspirera le photographe à réaliser telle photo, par exemple une photo de paysage sous un soleil resplendissant avec des couleurs éclatantes. Mais son voisin lui préfèrera peut être se positionner en contre-jour et obtenir ainsi une image dramatique qui met en exergue les ombres menaçantes des arbres.

Mélancolie
Cette image m’a été directement inspirée par la lumière qui régnait ce jour là. J’étais à la fenêtre en train de regarder le paysage qui disparaissait à moitié à travers le brouillard. Pourtant, le soleil n’était pas loin, ce qui conférait à la scène une ambiance extrêmement particulière. J’ai eu la chance de déclencher au moment où passait un groupe d’oiseaux. Je suis convaincue que si je n’avais pas été photographe, que si je n’avais pas eu cette acuité à la lumière due à l’habitude des photographes, je n’aurais pas déclenché : il n’y avait pas grand chose à voir ni à montrer. Seule la lumière suggérait une ambiance. Pourtant d’aucuns diront qu’elle n’était pas belle. C’est vrai. Mais elle correspondait exactement à mon intention.

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 Enfin, il est clair que par la composition le photographe va directement influencer le lecteur à lire ce qu’il veut qui soit lu.

De même que pour la lumière, il n’y a pas en soi de bonne ou de mauvaise composition : il y a celles qui sont adaptées au projet, à l’intention du photographe (ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a pas de règles qui permettent de donner de la force et de l’impact à une image !). La manière dont le photographe va ordonner les éléments qui composent l’image (par le choix du point de vue), l’instant durant lequel il va choisir de déclencher car il estime que ces éléments entrent « en harmonie » entre eux va déterminer la lisibilité de la photo, et donc son impact. Selon la composition choisie une photo peut être lue de manière très différente. Mais est-ce à dire que le photographe est toujours pleinement conscient de tous ses choix ? Bien sûr que non, et plus particulièrement en situation de reportage où la scène est infiniment trop complexe pour être « évaluée ».

La belle italienne
La composition influe sur la lecture de l’image. Je me suis servie de manière consciente des éléments visuels de cet endroit pour diriger le lecteur vers la silhouette de cette femme et donner de l’impact à la photo. Bien qu’ayant eu le temps de composer, ce serait faux de vous dire que j’ai été consciente de tout l’environnement complexe. J’ai notamment découvert au développement (avec joie !) cette ligne en bas formée par le reflet du sol.

LaBellaItalienne

 

En résumé, voici le schéma que je propose pour comprendre la vision du photographe :

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Prenons encore une fois un exemple dans lequel j’aimerais vous montrer que nos différents éléments nous emmènent à l’interprétation de la réalité :

morcellement

 

Je devais faire un reportage sur un centre culturel de jeunes dans ma région. Je devais le faire en 10 images. Bien entendu, le fait de tailler la réalité en 10 images nous coupe de facto de la réalité. Ce centre de jeunes est bien plus que ce que je vous en montre. Ceci dit, j’ai essayé de produire des images qui deviennent en quelque sorte des symboles de la vie dans ce centre (donc des représentations abstraites !). Comme vous pouvez le constater, j’ai alterné des plans larges avec des détails, des particularités architecturales avec les activités qui s’y déroulent, j’ai pris en photo des messages griffonnés sur les tables ou sur les murs et qui me semblaient représentatifs de l’état d’esprit de ces jeunes, des compositions graphiques, des scènes de vie, etc …

Arrêtons-nous un instant sur l’une de ces photos :

morcellement2Ici, nous voyons un couple de jeunes qui discute de manière assez vive semble-t-il, pour ne pas dire de manière agressive. Le jeune homme fait un geste qui pourrait presque passer pour menaçant, il est à moitié tourné vers la jeune fille, elle même semble assez fermée et a un regard dur. Bref, l’ambiance n’est pas au beau fixe !

morcellement3Dans cet autre cadrage, on y voit une jeune fille tout sourire (même franchement rigolarde) et qui est en train de jouer au baby foot. Par le fait qu’elle nous regarde, même si elle est seule et plus loin, elle contrebalance largement le « poids » des 2 autres protagonistes. Ce qui ressort de cette image, c’est que finalement, certes il y en a qui se disputent, mais il y en a d’autres qui s’amusent ! L’ambiance est moins « dramatique » qu’avec le premier cadrage !

morcellement4

Et voici le cadrage et la composition finale (et originale !). Ma perception de la réalité, dans ce centre, ce sont les contrastes qui existent entre les jeunes, que ceux-ci se confrontent entre eux, mais qu’ils s’amusent aussi et qu’ils ne sont pas si terribles qu’ils en ont l’air ! J’ai intégré dans mon cadrage les caméras pour signifier qu’ils sont sous surveillance parce qu’ils sont jeunes. Cette photo représente bien la perception que j’ai eue de ce centre. Mais je suis très consciente que c’est ma vision et mon approche personnelle de ce genre d’endroit qui ressort avant tout et non pas tel que cet endroit est ! Un autre photographe aurait-il été présent, très certainement aurait-il cherché à révéler d’autres aspects sur lesquels je suis passée car ils n’ont accroché ni consciemment ni inconsciemment ma perception de l’endroit.

 Penchons-nous maintenant sur le matériel utilisé par le photographe

Comme nous l’avons vu précédemment, les choix matériels du photographe ont une grande influence sur la photographie finale. Je dirais qu’il y a 2 types de choix :

  • les choix a priori
  • les choix a posteriori

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 Les choix à priori

 Il y a les photographes chanceux qui ont plein d’appareils photo. J’en fait partie ! Oh, je vous rassure tout de suite, je n’en ai pas une pléthore, mais j’en ai quelques uns (5 en fait). Ils sont tous très différents et surtout ils produisent des photos très différentes dans le rendu final sauf pour les appareils numériques qui sont assez similaires. Pour ma part, je les considère comme des outils qui vont me permettre de réaliser tel ou tel type de photo, exactement à l’instar d’un peintre si on veut faire un parallèle, qui aura des pinceaux ultra-fins ou au contraire ultra-épais, des couteaux, des spalters, etc …. Bien entendu, il y en a certains que j’utilise quasiment quotidiennement et d’autres que je sors beaucoup plus occasionnellement. Mais j’aime cette variété d’approche, elle me permet de me renouveler, d’essayer des choses différentes.

 Il en est de même pour les objectifs. Pour ma part, j’ai opté depuis longtemps pour les focales fixes car dans ma façon de photographier, la possibilité d’une très grande ouverture est essentielle. J’aime en effet beaucoup jouer sur la profondeur de champs, les situations de lumière extrême me parlent et cela me permet de ne jamais utiliser de flash (je crois que je ne sais même pas comment on le déclenche ! J’exagère mais à peine …)

Je disais donc que je faisais partie des photographes chanceux qui ont plusieurs outils à leur disposition. Mais qu’est-ce que cela signifie ? Cela signifie avant tout qu’avant chaque photo ou sortie photo je dois me demander : « qu’est-ce que je prends, quelle est mon intention aujourd’hui, quelle est mon humeur ? Le choix même, à priori, aura une conséquence sur les photos que je prendrais. Et je ne parle pas de technique là, je parle d’état d’esprit.

 Ces choix ne s’arrêtent pas qu’au matériel (appareil photo et objectif), ils concernent également les pellicules, qu’elles soient argentique ou numérique. À ce propos, je m’amuse beaucoup à observer la réaction des gens lorsqu’ils prennent une photo avec leur téléphone cellulaire et l’application type Hipstamatic. Ils sont la plupart du temps persuadés qu’ils n’ont effectué aucune intervention. Mon fils (mon propre fils !!!) me montrait une photo qu’il avait prise dernièrement avec son hipstamatic et qu’il trouvait très réussie, à raison d’ailleurs. Il m’a soutenu qu’il n’avait effectué aucune intervention, sous-entendu pour lui, qu’il n’y avait eu aucune post-production et que la photo était « brute » en quelque sorte, vierge de toute transformation. Bien sûr, d’un certain côté il avait raison dans la mesure où ce n’est pas lui qui a opéré le « traitement » de l’image. Il n’a fait que choisir à priori le rendu final. Mais physiquement, la photo est passée à la moulinette du logiciel APRÈS avoir été prise.

 Enfin, parmi la palette des choix à priori pour le photographe il y a les filtres. Il en existe de toutes sortes, plus ou moins utiles, plus ou moins créatifs et ils viennent se placer sur le devant de l’objectif.

Dans tous les cas de figure, ces choix à priori impliquent que le photographe ait une idée AVANT de photographier, qu’il se soit fait une représentation mentale de sa photo, de son projet.

Choix du Polaroïd
En utilisant un Polaroïd et une pellicule n&b des premiers temps d’Impossible Project, je cherchais à obtenir cet effet de douceur propore à cet appareil et à ce film.

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Pellicule Hipstamatic
Exemple de photo prise au téléphone portable avec une pellicule n&b numérique d’hipstamatic

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Photo au Holga
Choix à priori du Holga et d’une pellicule N&B pour obtenir ces superpositions

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Photo sténopé
J’ai fait le choix à priori de ne pas utiliser d’objectif pour prendre cette photo. Je savais qu’elle serait très incertaine et de mauvaise qualité en terme de résolution, mais c’est l’effet que je recherchais.

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Photo avec filtre
Utilisation d’un filtre fait maison pour obtenir cet effet de flou et de douceur.

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 Les choix à postériori

Comme nous l’avons vu dans la seconde partie, pour qu’une photo puisse être vue, il faut qu’elle soit développée. Que ce soit avec une méthode dite traditionnelle (je pense que cette expression n’aura plus de sens d’ici un certain temps !) du développement en chambre noire ou avec un logiciel interne ou externe à l’appareil photo, il est obligatoire que celle-ci passe par un processus qui va révéler l’image qui a été en quelque sorte « imprimée » sur le capteur ou la pellicule par la lumière.

 L’étape du développement est essentielle.

Il est bien évident que ce processus est de la plus haute importance car sans lui on peut presque dire que l’image n’existe pas ! Je suis souvent étonnée d’entendre dire des photographes qu’ils n’aiment pas cette étape. Selon moi, ce serait presque de dire pour un cuisinier qu’il n’aime pas faire cuire ses plats. Il choisi avec soin les ingrédients, les coupe, les taille, les associe, y met des épices, les goûte, anticipe le plat final, mais … n’éprouve pas de plaisir à l’accompagner dans la cuisson, à vérifier s’il est à bonne température, s’il faut lui ajouter un soupçon de poivre ou de coriandre, s’il faut le laisser mijoter encore un instant ou au contraire arrêter là, … Un plat qui n’est pas cuit est un plat en devenir. De même, une photo qui n’est pas développée est une photo en devenir. Laisser une photographie dans les mains d’un logiciel qui fera tout pour le photographe, c’est comme de mettre le plat soigneusement préparé du cuisinier au micro-ondes : c’est pratique, ça va vite, c’est efficace … mais ça refroidit vite et laisse souvent un goût d’eau. La photographie est tout un processus, et depuis ses débuts le développement en fait partie. Bien sûr que c’est difficile, bien sûr que ça demande du travail ! Les grands photographes de l’époque avaient leurs développeurs et tireurs attitrés, tout comme les grands cuisiniers ont leurs bataillons de « petits mains » spécialisées. Mais ces « petites mains », ces tireurs font leur travail sous la surveillance de l’auteur !

 Ne pas confondre développement et impression !

Du « temps de l’argentique », la plupart d’entre nous confiait ses pellicules à un laboratoire qui les développait pour nous. Les connaisseurs avaient leurs laboratoires privilégiés dont ils estimaient qu’ils développaient correctement leurs photos et se retrouvaient bien dans le rendu final du développement. Les purs et durs et les passionnés les développaient eux mêmes chez eux. Aujourd’hui, avec le numérique, tout se fait directement dans l’appareil photo ou à la maison sur l’ordinateur (il ne faut pas confondre le fait de faire imprimer ses photos numériques et de les donner à développer : lorsqu’on confie nos photos numériques à un laboratoire, celles-ci sont déjà développées. Les différences de rendu d’un laboratoire à l’autre sont dues à leur matériel, leurs encres, leurs papiers, etc … bref, tout ce qui a trait au tirage et à l’impression et non pas au développement).

 Et si nous parlions de développement numérique !

Bref, ce que je veux dire, c’est que peut-être pour éviter les confusions ou disons pour bien replacer la démarche et l’acte photographique dans sa spécificité, au lieu de parler de post-production avec les photos numériques, si nous parlions de « développement numérique »  dans le cadre d’une pratique photographique dite « traditionnelle ». Pour moi, la post-production serait plus réservé pour le domaine de la création artistique (et peut être dans certains cas de la publicité) : les photographies subissent une véritable transformation – je pense aux photo-montages par exemple. Ici, l’acte photographique, l’intention photographique est secondaire par rapport à l’intention finale. La photographie est en quelque sorte la matière première à une création, mais ce n’est pas l’acte photographique en soi qui a présidé au projet. Il n’y a rien de péjoratif dans ce que je dis ! Pour faire encore une fois un parallèle, il n’y a pas besoin d’être fabriquant de couleurs pour produire des oeuvres d’art à base de peinture.

 Le choix du papier et des dimensions physiques

Enfin, la dernière étape de la photographie est son tirage (ou son impression). Cette étape est moins indispensable aujourd’hui grâce au visionnage sur écran (elle devient même marginale !). Pour ma part, il y a certaines photographies que je veux voir imprimées en petit format pour leur conserver leur intimité, leur secret. Au contraire, pour d’autres je me mets à rêver de tirages monumentaux car c’est dans ce format que je pense qu’elles trouveront leur expression finale. Le papier a bien entendu toute son importance ! Lequel choisir pour cette photo ? Un satiné, un brillant ou au contraire un mat afin de faire ressortir le velouté de ses noirs profonds ?

 

Développement dramatique
Pour faire ressortir la tension et la colère de ces étudiants, les poings levés, les cris et les revendications, j’ai fortement augmenté les contrastes au développement

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Photo développée en N&B
À l’origine en couleur, j’ai préféré convertir cette photo en noir et blanc sépia afin d’accentuer le côté intemporel de la scène

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Une erreur au développement
Une erreur au développement m’a fait atterrir sur … mars. J’ai choisi de conserver cette version

Senza titolo

Développement « traditionnel »
Il y a 60 ans, le tireur de l’agence Magnum, Pablo Inrio, prenait des notes pour développer cette image de James Dean …De quoi réfléchir …

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 Enfin pour clore cette longue troisième partie, je ne pouvais pas passer sur les choix techniques du photographe

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Je ne vais pas m’étendre longuement sur le trio du photographe car je dirais que c’est la base de la photographie et que s’il fallait rentrer dans les détails, il nous faudrait encore des dizaines d’articles et j’ai bien peur d’être à la limite de votre patience !

Ce que je peux dire maintenant c’est que nous savons tous que ce trio infernal est celui qui nous feras réussir ou non une photographie ! Au delà de cet aspect, il est cependant indéniable qu’en fonction de nos choix techniques, qui une fois de plus sont subjectifs, une photo aura tel ou tel aspect. Exactement à l’instar de la lumière, il est impossible de dire qu’il y a la bonne exposition et la mauvaise. Toutes les expositions sont valables, y compris les extrêmes et c’est au photographe de décider et d’évaluer si celle qu’il a choisie exprime son intention de la bonne manière.

Ouverture maximale du diaphragme
En choisissant d’ouvrir au maximum mon diaphragme, cela me permet d’isoler mon sujet en plongeant le reste de la scène dans le flou et en obtenant des jeux de lumière intéressants. Je perds certes en qualité de « piqué », mais ce n’est pas cela que je recherche donc cet inconvénient est secondaire pour moi.

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Liberté
En fermant au contraire mon diaphragme, je peux avoir une profondeur de champs bien plus importante, me permettant d’obtenir une netteté du premier plan à l’infini

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Flou de mouvement
Pour obtenir ce flou, je baisse la sensibilité de mon appareil photo au maximum et je choisis un temps de pause « relativement » long, juste ce qu’il faut pour que les hautes lumières ne soient pas brûlées.

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Effet « high key »
Une franche sur-exposition me permet d’obtenir cette image évanescente et délicate.

the contact

Effet « low key »
Au contraire, une sous-exposition radicale me permet d’isoler ce trait de lumière (en fait une toile d’araignée vue de profil).

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Me voici arrivée à la fin de cette looooongue troisième partie.

Encore une fois, j’espère vous avoir démontré que même s’il est de bon ton d’être sceptique dans notre monde actuel quant aux images qu’on voit, et à partir du moment où l’auteur ne cherche pas volontairement à nous faire prendre des vessies pour des lanternes, c’est à dire qu’il ne cherche pas à nous tromper et à falsifier son message, nous pouvons être tout à fait sereins quant à la non-réalité d’une photo.

En effet, pour résumer, la photographie en soi, par sa nature même, ne peut représenter la réalité (partie 1), le processus physique et matériel ne permet pas de reproduire la réalité telle qu’elle est perçue (partie 2) et l’intention du photographe, à travers sa subjectivité et ses choix matériels et techniques fait que toute photographie est engagée car à partir du moment où il y a un projet photographique il y a une élaboration mentale avant même d’obtenir la photographie (partie 3).

Dans la quatrième partie (qui n’arrivera pas je pense avant une semaine pour cause d’emploi du temps serré dans les jours à venir !), j’espère que je vous convaincrai définitivement qu’un photographe est un constructeur de mondes

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Ci dessous les liens directs avec les différents articles de ce sujet :

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Photographie et réalité : brisons les idées reçues

I partie : Le rapport de la photographie avec la réalité

II partie : Qu’est-ce qu’une photographie ?

III partie : L’acte photographique : de l’intention à la photographie

IV partie : Photographie et réalité : le regard du photographe est un constructeur de mondes

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    BIBLIOGRAPHIE

  • Alexandre Rotdchenko . Ecrits complets : sur l’art, l’architecture et la révolution
  • Henri Vanlier : Philosophie de la photographie
  • Christiane Vollaire : Trancher dans le vif : sur les fonctions esthétiques de la photographie (revue de l’École des philosophes)
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11 pensées sur “PHOTOGRAPHIE ET RÉALITÉ : BRISONS LES IDÉES REÇUES (III)

  1. Une grosse lecture à venir pour ce week-end. Il me tarde de prendre le temps de lire les 3 opus !

  2. Magnifique cette partie, elle m’a beaucoup parlé. Notamment le regard du photographe, son interprétation de la réalité. Pour 1000 photographes sur un même sujet, il y aura 1000 réalités différentes, c’est vraiment ce qui fait la richesse de cet art (ou d’un autre d’ailleurs). L’inspiration peut-être infinie, de tenter à coller aumieux à ce qu’on a vu, ou àen faire quelque chose de carrément créatif et conceptuel. Quoiqu’on fase, de la photo la plus basique à la plus conceptuelle ça restera là, notre regard de photographe unique et propre (je ne sais pas si je suis claire).
    Il est dommage que certains négligent la partie développement, car elle est aussi amusante et primordiale que celle où on choisi son sujet et où on le photographie. Je dirais même que là, c’est réellement comme un peintre devant son tableau. Les traits sont, l’esquisse est faite, manque plus que les « finitions », les contrastes, etc. Une étape où enfin, l’image prend vie, prend un sens, le sens qu’on veut lui donner. Encore une fois, tout est question de subjectivité.
    Bon, je m’emballe,désolé si je suis à côté de la plaque mais ce sont là les réflexions qui me sont venues en lisant l’article.
    Bref, merci pour ce magnifique travail et hop, évidemment, vivement la suite ! 🙂

  3. Bonne lecture alors Pixeline 🙂

    Plume et zoom : pourquoi est-ce que tu n’aurais pas le droit de t’emballer ? Tant mieux, j’ai l’impression que cet article t’as au contraire stimulée. Que demander de plus 🙂

    Concernant la suite, je vais laisser passer un peu de temps ! Non seulement mon emploi du temps va être serré dans les jours qui viennent, mais en plus on m’a dit que je les avais mis en ligne trop rapidement les uns à la suite des autres … Il faudrait savoir ! Vous me dites que vous êtes impatients et ensuite vous me dites que je vais trop vite 🙂 Olala, qu’est-ce que c’est difficile de gérer un site …

    A tout bientôt !

  4. Bonjour Laurence. Je suis un piètre photographe mais j’adore le cliché, l’instant, voire l’instant qui suit, ce moment où l’on presse le déclencheur. Ton cours quasi-magistral me laisse rêveur. Quelle science tu détiens ici… Je n’aurais sans doute pas le temps de tout lire mais je parcourrais cet excellent travail qui devrait réjouir tous les fanas de l’image. Bien à toi.
    Jonas

  5. Bonjour Laurence,
    Juste un mot pour te dire que ta conférence retient toute mon attention – j’ai hâte de pouvoir la lire posément et en entier. Malheureusement je n’ai plus d’ordinateur pour le moment, c’est la raison pour laquelle je me tiens silencieux.
    J’ai seulement parcouru les deux premières parties (rapidement), la réflexion à l’air diablement poussée et le diaporama efficacement monté (on sent la personne qui touche en communication et qui aurait une formation socio-littéraire, je me trompe ? :-))

  6. À moi aussi il me parle beaucoup cet article. Et j’aimerais bien l’avoir lu au moment où je me suis mis plus sérieusement à la photo… C’est bien vrai, les photographes voient les choses différemment. Et je m’en rends compte quand je suis avec des non-photographes, quelque part, et que mon regard erre, et traîne, et vagabonde partout autour de moi, à la recherche semi-consciente de « la scène », de « l’instant », même si je n’ai pas d’appareil photo avec moi…

  7. Un article très complet que j’ai eu beaucoup de plaisir à lire, sans parler des images d’accompagnement, superbes. Celle que tu as appelée liberté est tout simplement géniale. ♥

  8. Bonjour à vous et merci pour vos messages !

    @ Jonas D : Piètre photographe je ne sais pas, mais créateur poétique de mondes très certainement !! Mais dis-moi Jonas, je n’ai pas cherché à faire un cours magistral … Il me reste trop de choses à apprendre avant de pouvoir en faire un …

    @ Ronan : je dois t’avouer que je serais curieuse de connaître ta réaction à mes élucubrations. Vivement que tu récupères un ordi 🙂 Le côté « toucher en communication », pas vraiment. C’est l’avantage quand on ne connait pas les outils dédiés aux présentations (genre power point), on passe par ceux qu’on connait et qui nous permettent peut-être plus de liberté du coup. Par contre, effectivement, côté formation tu es dans le 1000. Formation philo puis socio 🙂

    @Elpadawan : sais-tu qu’en préparant cette conférence, j’ai moi-même beaucoup appris au final ? Elle m’a permis de bien mettre en ordre beaucoup d’idées qui au final étaient, non pas confuses, mais mal ordonnées. Je suis ravie que cet article te parle beaucoup !

    @ Pastelle : Pour les images, il n’y en a pas de neuves mais si j’avais dû en plus en produire … Pfiuuu !! Merci de ton enthousiasme !

  9. Bonjour Laurence,
    Je m’étais promis de lire, calmement, lentement ces trois articles.
    J’y ai pris bien du plaisir, même si parfois je ne suis pas certain de partager ta vision.
    Dans cette dernière partie, je relève les choses suivantes:

    -« frontières sont tellement fluctuantes que c’est à se demander si elles existent vraiment ! »
    j’aime beaucoup cette absence des certitudes.

    – » lumière lorsqu’elle parvient sur la surface sensible (pellicule, capteur, ..) ne possède pas de qualité intrinsèque. »
    pas du tout d’accord avec ça. si la lumière n’avait pas de qualité (valeur) elle ne serait pas mesurable. Or elle l’est tant au niveau intensité (lumen, candela) que vibration (degrés kelvin).

    -« il n’y a pas de « bonne ou mauvaise » »
    Il y a mauvaise lumière si ses caractéristiques ne permettent pas au photographe de mettre en évidence ce qu’il a voulu montrer. Pour reprendre le lien que tu faisais avec un cuisinier, le type de chaleur à sa disposition peut-être adaptée ou pas à ce qu’il voulait faire.

    -Les images du tirage de la photo de James Dean, c’est fantastique. Je ne connaissais pas, mais c’est une bonne leçon pour ceux qui pensent que le développement d’une photo à l’aide d’un logiciel est une technique nouvelle.

    Il y a une chose qui me tarabuste. Je suis très curieux de savoir les retours que tu as eu des auditeurs lors de la présentation de ce sujet à Saint Julien.

  10. je tombe par hasard sur votre blog en venant de chez pastelle 🙂
    j’avoue que votre blog est comme vos photos un vrai champs de curiosité et qui part dans tous les sens et qui me déplait pas, bien au contraire 😉
    je ne comprend pas toujours les termes technique lier a la photographie étant amateur . je reviendrais vous lire plus en détail dans mes moments de repos 🙂
    je vous souhaite une bonne journée.

  11. Bonjour Dominique et JP 37 !

    Tout d’abord, bienvenue JP 37 ! J’espère que tu ne t’es pas perdu parmi mes champs de curiosités 🙂 Et quant aux termes techniques, j’ai essayé dans la mesure du possible dans cet article de ne pas trop en utiliser justement, histoire de ne pas embrouiller un discours déjà relativement complexe. Ah ! le poids des mots 🙂

    Dominique, je te remercie de ta lecture attentive et de tes remarques qui vont me permettre de préciser ma pensée. Tu réagis notamment sur la « qualité intrinsèque de la lumière ». Je pense que tu as raison d’un point de vue physicien. Mais je me suis placée (depuis le début !) du point de vue du photographe. Ainsi, la température de la lumière peut tout à fait être modifiée grâce à la balance des blancs ou son intensité peut être modifié tout simplement en se positionnant différemment par rapport à sa source. De la même manière, il y a une interaction évidente entre ce que le photographe souhaite montrer et ce que lui permet la lumière. C’est en ce sens que je dis que le photographe est particulièrement attentif à la lumière : il y a des cas de figure où le photographe renoncera à une photo car la lumière n’est pas adaptée à son intention, d’autres cas où c’est elle qui incitera le photographe à déclencher, ou encore d’autres fois où le photographe, rien qu’avec son positionnement par rapport à celle-ci ou avec les moyens techniques qu’il a à sa disposition obtiendra une photo qui corresponde à son intention. J’insiste donc pour dire qu’il n’y a pas de bonne ou de mauvaise lumière en soi, mais effectivement une lumière adaptée ou non pour une photographie donnée.

    Concernant le développement, c’est vrai que cet exemple est particulièrement parlant ! Je l’ai trouvé sur ce site (mais il suffit de taper Pablo Inirio sur google images et en avoir plein d’autres : http://www.clickblog.it/post/90811/la-post-produzione-in-camera-oscura-gli-esperimenti-di-pablo-inirio-molto-prima-di-photoshop

    Enfin, pour répondre à a question sur le retour des auditeurs, je crois que ça a été positif. Le premier jour, il y a eu surtout une discussion à la fin sur la différence entre le réel et la réalité. Quant au second jour, il n’y a pas eu de questions du tout. J’ai eu l’impression sur le coup d’avoir vraiment laissé les gens sans voix ! Mais à la fin, il y en a eu un certains nombre pour venir me trouver et me demander justement si je ne comptais pas la mettre en ligne quelque part. Il faut dire que j’ai eu moins de temps que prévu car le cycle des conférences avait pris du retard et juste après moi il y avait Bruno Follmi. Je suis peut-être allée trop vite 🙂 C’est un exercice que je trouve très difficile, surtout quand on doit le répéter 2 fois : on a l’impression de répéter les mêmes choses et on a du coup du mal à imaginer que les gens, eux, n’ont pas entendu ce discours plusieurs fois !

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