En septembre dernier, j’ai été invitée pour faire des photos des habitants de Kashgar et de ses environs par le département culturel du gouvernement local. Ces photos devraient faire l’objet d’une exposition future au musée de Kashgar, dont la date, à la chinoise, n’a pas encore été fixée. De ce qu’on m’a dit, celle-ci va dépendre du calendrier des dieux célestes et terrestres qui sont pour le moment très occupés, donc en attendant j’ai eu envie de partager avec vous ces personnages et ces terres rencontrées !

Un peu de géographie

Kashgar est une ville préfecture de la région du Xinjiang (officiellement Région Autonome Ouïghoure du Xinjiang) située à l’extrême ouest de la province. De ce côté-ci du Xinjiang, 5 pays en « stan » bordent la frontière : le Tadjikistan, le Pakistan, Kazakhstan, le Kirghizistan et l’Afghanistan. Nous ne sommes pas loin non plus de territoires qui sont disputés avec l’Inde

Le Xinjiang est la plus grande région de Chine et pour vous donner une idée, elle représente plus de 3 fois la France ! C’est dire si du nord au sud et d’ouest en est les paysages et les cultures sont variés ! A l’ouest on trouve la chaine de montagnes Karakoram où culmine le K2 et en son centre il y a le désert de Taklamakan, l’un des plus grand désert au monde de dunes mouvantes, au nord il y a les monts Altaï.

En ce qui concerne les populations il en est de même et c’est un sacré melting pot mais avec quand même 2 ethnies majoritaires, les Ouïghours et les Hans.

NB : Je ne rentrerai pas ici dans le débat, largement influencé par les aspects géopolitiques et idéologiques, sur le « génocide » et l’exploitation des Ouïghours. Tout ce que je peux dire, c’est que je suis allée 2 fois dans la région, et que je n’ai rien vu de particulier, si ce n’est une surveillance policière qu’on ne retrouve nulle part ailleurs en Chine et que je trouve pour ma part très inconfortable. En revanche, et notamment dans la région de Kashgar, la culture et la langue Ouïghour sont bel et bien vivaces. Pour preuve, j’avais un interprète chinois/ouïghour car de nombreuses personnes ne parlent pas mandarin, notamment les anciens et les campagnards.

En orange : la province du Xinjiang
En rouge, la préfecture de Kashgar
Le xinjiang compte environ 20 millions d’habitants. Ici la répartition des minorités dans la province.
Source : Wikimedia commons

Le carrefour des routes de la soie

Le sur-tourisme

La ville a été le point de rencontre des routes du Nord et du Sud pendant plus de deux millénaires. Ce carrefour stratégique, où se croisaient les voyageurs qui avaient bravé les étendues arides du désert de Taklamakan, et ceux venant de l’Ouest, ayant franchi les hauteurs imposantes du Pamir, était le lieu où l’on échangeait chameaux contre yaks. À l’origine bouddhiste, la région a été tour à tour dominée par différentes civilisations, et la région regorge de vestiges archéologiques.

Aujourd’hui, elle a gardé son statut de hub vers les pays d’Asie mais l’industrie touristique joue un rôle majeur dans son développement économique. Et, de mon humble avis, elle est victime du sur-tourisme. Vous me voyez donc venir …

Bien que la vieille ville soit relativement bien préservée et qu’il y ait un certain effort de conservation et de restauration du patrimoine, les hôtels et les logements type Airbnb occupent une place prépondérante, sans compter les centaines de maisons transformées en boutiques de fanfreluches, les restaurants, les salons de thé, … Bref, Kashgar est à l’instar de nos villes historiques européennes hyper touristiques où il devient difficile de distinguer le vrai du faux, la vraie vie de celle dédiée aux loisirs et à la consommation touristique.

Un peu d’authenticité

Ce qui m’a le plus saisi, c’est la proximité architecturale, vestimentaire, linguistique, musicale, … avec la culture turque. Les origines turkmènes des ouïghours n’est pas usurpée ! Mais quand on pense que Kasghar est à égale distance – environ 4000 km -d’Istanbul et de Pékin on est moins étonnés.

Je connais bien l’Algérie et surtout Constantine qui a conservé des traditions issues de la domination ottomanes encore très présentes. Et bien figurez-vous que parfois je me suis demandée si je n’étais pas transportée dans la vieille ville de Constantine dans une de ses maisons traditionnelles sur 2 niveau avec une cour intérieure rassemblant tous les membres de la famille. Ou bien encore si je n’allais pas entendre les youyous d’un mariage avec les gandouras algériennes qui ressemblent tellement à certaines tenues traditionnelles d’apparat des ouïghours !

Couple de jeune mariés posant devant leur maison. Leurs kaftans pourraient être portés en Algérie sans dépareiller ! La seule chose qui change vraiment est le chapeau traditionnel qu’ils arborent.

En s’enfonçant d’avantage dans le coeur de la ville, on peut trouver des signes de vie authentique, et enfin des habitants qui ne nous reluquent pas seulement comme des étrangers et même qui finissent par nous sourire – un peu 😉

Les enfants qui jouent librement dans les ruelles, les femmes qui papotent médisent à propos de la vie, les marchands ambulants, un homme qui porte dans ses bras une chèvre affolée, la musique qu’on entend à travers une porte, tous ces signes qui nous montrent que la gentrification et le tourisme n’ont pas encore tout transformé et qu’il y a encore des vrais gens qui y vivent.

Fondamentalement, il est toujours compliqué pour moi de me confronter à des lieux hyper touristiques. Je comprend parfaitement que les locaux en aient marre d’être observés comme des tableaux de musée, que tout le monde cherche à jeter un oeil dans leurs maisons, qu’ils puissent se sentir dépossédés de leur intimité. Je suis parfaitement consciente que je fais partie de ce ces voyeurs lorsque je voyage et que je participe à la dégradation de l’environnement social, d’autant plus que je les photographie ! Moi, je sais que je le fais dans le respect, mais eux, qu’en savent-ils de ce que je vais faire de leurs photos ? Que savent-ils de mes intentions ? Je suis en train de penser à ce propos qu’un article de réflexion sur la photographie de voyage pourrait être intéressant. Qu’en dites-vous ?

Les vraies rencontres se sont faites dans la campagne

Champ de coton avec les peuplier pour casser le vent qui vient du désert tout proche.

Vous imaginez donc bien que j’étais assez contente de partir de Kashgar et de m’enfoncer dans les campagnes. Bon, campagne n’est pas le mot tout à fait adéquat car il renvoie notre imaginaire à des paysages verdoyants avec des vaches et des vallons 😉 Ici, dans cette région, il s’agit plutôt d’oasis car je suis partie en direction du désert du Taklamakan. Mais là encore, notre imaginaire lorsqu’on parle d’oasis nous porte à penser qu’on va traverser des paysages de palmiers et de vergers. Or, dans cette région il n’y a pas de palmiers et les arbres qu’on voit border les routes sont une espèce de peupliers.

Et quant aux paysages, ils sont assez ennuyeux à vrai dire car c’est très plat et les cultures alternent avec des champs de coton, maïs et vignes et vergers. J’ai d’ailleurs été très étonnée car ces cultures demandent énormément d’eau, mais on m’a dit que cette région était largement irriguée par les rivières qui descendent de la chaîne de montagnes Kunlun et du Pamir. Pourtant, le désert est aux portes de cet immense oasis et il y a des efforts considérables pour lutter contre son avancée avec des programmes de plantations d’arbres phénoménaux !

Bon, jusqu’ici vous devez vous demander où est passé mon enthousiasme habituel lorsque je partage avec vous mes découvertes. Ca vient, ça vient 😉

Le marché

Loin, très loin de la furie touristique de Kasghar nous avons fait un stop dans un marché local pour faire quelques emplettes. Quel bonheur ! Proche de relever de la cour des miracles, ce marché était rempli de gens souriants, ouverts, curieux, accueillants, gais, contrastant absolument avec les citadins de Kashgar.

Un bal improvisé se tenait au milieu des bouchers, des boulangers, des marchands de 4 saisons, des maquignons, des restaurateurs, des barbiers, et même d’un dentiste ! J’avoue qu’à la vue de son étal, je me suis retrouvée dans un siècle que je n’ai jamais connu et je me suis prise à remercier les dieux de la science et de l’hygiène de ne pas avoir à faire recours à ce dentiste de campagne. Le bonhomme était en train de soigner un vieil homme à la chemise ensanglantée avec … des pinces de bricolage. Il ne m’a pas autorisée à prendre des photos mais de toutes façons je ne pense pas que je les aurais diffusées car je ne suis pas sûre que ce soit très décent.

Maintenant, plus que des mots, je vais me contenter de vous montrer les portraits de ces personnes qui m’ont tant charmée.

La musique

Plus haut je vous disais que la culture ouïghoure est fortement influencée par la culture islamique et la musique fait bien entendu partie de ses apports. Là encore, j’ai été frappée par la similitude avec le Malouf, la musique Constantinoise. Pourtant, cette dernière est arabo-andalouse et dont la tradition se rattache à la ville de Séville ! Comme quoi, nous sommes tous frères et le celui qui me dit qu’il y a un choc des civilisations, je lui tord le cou.

Ainsi, j’ai eu l’honneur d’être invitée dans la maison d’un groupe de musiciens très connus car ils sont détenteurs de la musique traditionnelle, le Muqam de Dolan. Le chanteur principal est même inscrit sur les listes régionale et nationale du patrimoine vivant. D’après ce qu’on m’a expliqué, cette musique locale est assimilé au jazz en ce sens qu’elle repose en grande partie sur l’improvisation.

En fait, dans cette partie du Xinjiang, nous sommes sur les terres d’un sous-groupe ethnique ouïghour, les Dolan (ils ont même leur propre variété de mouton dont certains valent 2 millions de dollars – oui, oui, ce n’est pas une faute de frappe !). J’ai été accueillie comme une reine car ils ont déjà été invités 2 fois à Paris pour donner des représentations, alors la France ils l’aiment de tout leur coeur !

La peinture

Les Dolan ne sont pas seulement des virtuoses de la musique, mais ils sont aussi des peintres hors pair ! Je dois avouer que lorsqu’on m’a proposé d’aller visiter le musée dédié à la peinture paysanne locale, j’étais à moitié enthousiaste car je ne m’attendais pas à voir des chefs d’oeuvre. Et bien figurez-vous que tous mes aprioris ont été battus en brèche sèchement lorsque j’ai vu la qualité remarquable de la production de ces « peintres du dimanche ». Sincèrement, je ne m’attendais pas à me retrouver devant des peintures aussi expressives, contemporaines, innovantes, créatives, drôles, poétiques,… J’en suis restée bouche bée ! Et figurez-vous que le Musée du Louvre en possède quelques pièces ! Je me demande bien lesquelles mais si un jour il y a une exposition je vous recommande vivement d’y aller, vous ne serez pas déçus.

Ce qui est vraiment intéressant, c’est que toutes racontent le quotidien de ces gens, leurs espoirs et leurs déboires et personnellement j’y ai vu un formidable résumé sociologique.

J’aurais adoré aller visiter les ateliers de ces peintres et voir les toiles sur lesquelles ils travaillent. Mais malheureusement on n’a pas eu le temps et de toutes façons, de ce qu’on m’a dit, ce n’est pas la saison de la production de peintures (Sic!). En fait, en septembre les paysans sont occupés dans les champs pour les récoltes et c’est surtout en hiver qu’ils se mettent aux pinceaux. Et puis de toutes façons ils n’ont pas vraiment d’atelier car habituellement ils se réunissent dehors ou dans une salle pour peindre à l’unisson. En fait, c’est une vraie tradition propre à cette région et le savoir-faire en matière de peinture se passe de générations en générations et au plus grand nombre. La peinture ici n’est pas une affaire individuelle mais collective !

J’ai pris en photo quelques toiles que j’ai vraiment bien aimées mais il y en avait tellement ! J’aurais pu passer la journée dans ce musée à vrai dire 😉 Voici un tout petit aperçu de cette découverte :

Voilà chers amis, je suis heureuse de vous avoir présenté succinctement ce petit bout de terre. Je n’ai pas abordé ici le désert, ça fera probablement l’objet d’un autre article car il y a beaucoup à en dire et de belles images à découvrir. Mais en parler ici aurait fait trop d’un coup et vous n’avez pas que ça à faire de lire mes longs articles 😉

Vous êtes peut-être surpris que je ne vous montre que des photos en noir et blanc, mais durant ce séjour c’est comme ça que j’ai vu les choses. Bien sûr, les couleurs sont superbes, les motifs traditionnels des vêtements sont très bigarrés, les maisons sont ocres comme le sable du désert qui entoure la région. Mais j’avais envie de me concentrer sur l’âme des lieux et des gens, et pour cela le noir et blanc est inégalable !

Côté technique, j’étais accompagnée de mes fidèles boîtiers, le Leica Q et le FujifilmGFX 50R, le Leica avec son 28 mm et le Fuji avec un 63mm (environ 50mm). Je sais, c’est assez lourd à porter et surtout encombrant quand on les a autour du cou. Mais que voulez-vous, on ne réfrène pas la passion des belles images n’est-ce pas ? 😉 D’aucuns me diront que ce n’est pas discret, surtout pour de la street photo. Mais la Chine est encore un endroit où on peut librement photographier sans que les gens ne prennent ombrage ou se cachent, même dans les endroits les plus touristiques comme Kasghar. Et puis avec ma tête d’étrangère, c’est peine perdue que de vouloir être discrète car je suis repérée avant même que je ne repère moi-même les gens ! Alors je profite pleinement de ce plaisir !

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4 pensées sur “À la rencontre de la communauté des Ouïghours

  1. Merci Laurence, un an c’est trop long … C’est toujours un grand plaisir autant pour le texte que pour les photos 😉

    1. Oh très très très chère Carole ! Quel plaisir de te lire ici ! Merciiiii de ta présence !!!

  2. Passionnant! Merci de nous faire découvrir cette région qu’en dehors des tribulations politiques nous connaissons mal! Le texte est à la hauteur de la qualité des photos – comme d’habitude,,, Je me suis régalée, et j’y reviendrai!

    1. Bonjour Gine ! Je suis absolument ravie que mes tribulations vous plaisent ! Et bien entendu, vous serez toujours la bienvenue ici !!!

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