Tout près du toit du monde
En mai dernier, pour un reportage* je découvrais le Yunnan, une région que je n’avais pas encore explorée et qui pourtant me tendait les bras depuis un sacré bout de temps ! Située dans le sud-ouest de la Chine, cette province borde le Myanmar, le Laos, le Vietnam au sud et les contreforts de l’Himalaya au nord. Connue pour abriter le plus grand nombre d’ethnies (25 sur 55 !) ainsi que la plus grande diversité botanique, c’est dans sa capitale, Kunming, qu’a lieu actuellement la COP 15 Biodiversité. Vous en avez aussi probablement entendu parler aussi car cette province a été le théâtre d’une migration d’éléphants inattendue et inexpliquée de plusieurs mois, mettant en émoi toute la Chine.
Le Yunnan est principalement montagneux avec plusieurs sommets à plus de 6000 mètres, dont le mont Meili, montagne sacrée pour les Tibétains et que d’ailleurs les alpinistes à ce jour n’ont toujours pas réussi à gravir. Cette région est aussi l’une des plus pauvres de Chine et vit essentiellement de l’agriculture, bien que le tourisme fasse son essor dans certains endroits. Même si les montagnes sont très hautes, le Yunnan jouit d’un climat très agréable tout au long de l’année et jusqu’à 3000 mètres il est rare qu’il neige. Il faut dire que cette province est située très au sud et une bonne partie de son territoire a un climat tropical. Située au centre du Yunnan, Kunming est d’ailleurs appelée « la ville du printemps éternel ».
Une région de cultures en terrasses
Aujourd’hui, je vous emmène donc au Nord du Yunnan, sur des pentes la plupart du temps très abruptes. Mais ce qui est extraordinaire, c’est que ça n’empêche pas l’agriculture et ici, depuis des millénaires, les paysans ont sculpté les montagnes pour en faire des terrasses et ils continuent d’exploiter ces terres. Dans ces conditions, l’agriculture est extrêmement peu mécanisée et c’est toujours à la sueur de leur front et à la force de leurs bras – et de leurs jambes ! – que les agriculteurs font pousser du blé, du maïs, des pommes de terre, du colza, de la vigne,…
Pour moi européenne, cet effort manuel est fascinant et pousse mon admiration. Née avec les tracteurs, les moissonneuses batteuses, les machines à vendanger, et que sais-je encore, je suis habituée à voir ces engins énormes dans les campagnes. La plupart du temps en Chine, hormis dans les grandes plaines du nord avec une agriculture intensive, les seules machines que l’ont voit sont au maximum des petits motoculteurs et bien sûr les bêtes de somme. Dans le Yunnan ce sont surtout des mules, alors que dans d’autres provinces moins escarpées ce sont des buffles.
Pourtant en France, nous ne pouvons pas dire que nous n’avons pas de montagnes ! Et en ce qui concerne les terrasses, hormis quelques très rares exceptions, il me semble que nous avons totalement abandonné ce mode de culture. Nous en avons plutôt fait des musées à ciel ouvert comme par exemple le « Conservatoire des terrasses » dans le Lubéron. Bien sûr ce mode ce culture est éreintant, peu propice au rendement optimum et demande plus de main d’oeuvre. Il oblige à exploiter de toutes petites parcelles, il faut constamment entretenir ces terrasses, c’est très dur physiquement (c’est qu’il faut y aller 5oo mètres plus bas et remonter la récolte !) mais on y gagne très certainement en diversité de cultures, en adaptation aux différentes qualités de terrain à toute petite échelle, ce qui aujourd’hui avec les problématiques du changement climatique et de la disparition de la biodiversité, fait de ce mode de culture une chance pour l’avenir. Ce qui nous semble à nous européens aujourd’hui une agriculture dépassée et d’un autre âge est peut-être finalement celle du futur ?
Une paysanne sème du maïs sur une petite parcelle de terrain fraîchement labourée à l’aide de la mule Chapeau, panier d’osier sur le dos et bottes constituent le costume de base de tout agriculteur dans cette région. Ces paniers sont tous fabriqués artisanalement avec les ressources locales, mais surtout du bambou. Vieux, très vieux paysan qui sème des céréales pour sa propre consommation. Je l’ai observé pendant un bon bout de temps, et graine par graine, en se déplaçant tout doucement, il a fini par faire sa rangée ! J’ai été interpellée par sa toque de fourrure alors qu’il faisait largement au dessus de 25 degrés, et j’ai fini par la mettre sur le compte de l’habitude 😉 Une fois le blé récolté, il est rassemblé en fagots. Plus tard les agriculteurs le feront passer dans une machine maniée à la main pour récolter les grains. Le maïs est lui aussi mis à sécher en fagots. Il servira de nourriture et de litière pour les animaux. Une mule au repos à l’arrière d’une ferme. Au premier plan on peut voir un antique motoculteur à la main. Le plastique est massivement utilisé pour le paillage, ce qui en soit est une excellente solution pour les problèmes d’eau et éviter autant que possible les produits chimiques. Mais ce plastique, dit biodégradable, met malgré tout beaucoup de temps à se détériorer ce qui entraîne une pollution massive du sol année après année. Depuis très récemment, la loi impose une seule qualité de plastique pour l’agriculture qui, d’après ces nouvelles normes, serait rapidement biodégradable. Je l’espère !
On peut également voir de jeunes arbres sur ces terrasses. Il s’agit ici de noyers qui ont été plantés par le gouvernement dans le cadre d’une très grande campagne de reforestation afin de limiter l’importante érosion de cette partie du Yunnan. Ainsi, dans toute la région, il est désormais strictement interdit d’abattre un arbre.Comme le veut la tradition, cette région du Yunnan (mais pas uniquement le Yunnan, en fait toute la Chine est concernée) n’avait pas de cimetières à proprement dit et les tombes finissaient par grignoter dangereusement les terres cultivables, comme sur cette photo. Depuis quelques années, la loi n’autorise plus les nouvelles inhumations dans ces caveaux et les défunts sont emmenés dans de « vrais » cimetières. Même dans le fond des vallées les parcelles agricoles sont très petites et bien que le dénivelé soit très faible, les terrasses sont largement privilégiées car cela permet d’optimiser l’irrigation et l’arrosage. Bien sûr la culture du riz est privilégiée dans ces endroits, mais on y trouve également une multitude de cultures différentes, allant du blé au maïs ou aux légumineuses. Des rizières dans un fond de vallée, avec leurs monticules typiques pour gérer l’irrigation des champs. Ce mode de gestion de l’eau demande un très grand savoir-faire et beaucoup de coopération entre les agriculteurs.
Spiritualité omniprésente
Le saviez-vous ?
Il y a 5 montagnes sacrées en Chine réparties sur tout le pays et correspondant aux 5 points cardinaux chinois. Oui, vous avez bien lu, 5 points 🙂 Le Nord, le Sud, l’Est, l’Ouest et … le Centre.
Les montagne ont toujours été en Chine des lieux privilégiés d’activité religieuse. Partout où vous allez, vous trouvez des temples bouddhistes et taoïstes, parfois dans des endroits les plus improbables et bien sûr en montagne c’est encore plus vrai ! Leurs accès sont compliqués et difficiles et on sent bien que c’est fait exprès pour faire travailler le mental du croyant 😉
Ces temples sont quasiment toujours habités, soit par des moines, soit par des « civils » qui en ont la garde. Accompagnée d’amis chinois, il m’est arrivé une fois d’aller dans un de ceux-là. Après 3 heures de marche sur un sentier quasiment invisible et qui montait vraiment raide, nous sommes arrivés dans un temple taoïste gardé par un groupe de femmes laïques. C’est difficile de décrire mon impression tant j’ai eu le sentiment d’avoir fait un saut dans le passé et me retrouver à une époque médiévale ! Ces femmes vivaient en totale autarcie, dans un environnement très hostile, avec pour eau courante celle du ruisseau, un potager en guise de garde-manger et le temple lui même pour chambre à coucher. Et si vous connaissez un peu le statuaire du taoïsme, vous avez de quoi avoir des frissons avec ces gardes célestes au regard furibond ! Vous connaissez le film « Au nom de la rose » ? Et bien transposez son ambiance chez les taoïstes et vous aurez l’ambiance de ce lieu 😉
Bref, tout ceci pour vous dire que nous quittons désormais les zones cultivables c’est à dire jusqu’à environ 3000 mètres, pour nous élancer vers les sommets beaucoup plus arides et encore plus escarpés !
Les photos que je vous présente ici ne font partie des 5 montagnes sacrées, mais comme je vous le disais précédemment, ça n’empêche pas qu’elles jouent un rôle dans la spiritualité locale.
Ainsi, dans la photo ci-dessus on peut apercevoir un temple. Lorsque j’y étais, son accès était limité et je dois avouer ne pas avoir eu le courage, de toutes les façons, pour y monter. C’est le genre de parcours où il faut prévoir une-demi journée, beaucoup d’eau (car il fait très chaud !) et de bons poumons. Juste pour vous donner une idée, le sommet juste derrière est à 4400 mètres …
Nous avons préféré contourner ce pic et découvrir les autres flancs de la montagne. C’était beau, majestueux même !
Ne trouvez-vous pas que ces photos suggèrent des peintures à l’encre de chine traditionnelles ? Plus je découvre l’art traditionnel chinois, plus je sens la proximité avec la nature dont il s’inspire !
En redescendant sous des latitudes plus hospitalières, nous avons découvert une carrière. La lumière était juste magnifique !
Enfin, en guise de conclusion de cet article, laissez-moi vous montrer quelques portraits de personnages rencontrés en route.
Ils vous souhaitent tous bien le bonjour !
*Mon reportage avait pour sujet l’ancien ambassadeur de Belgique qui a décidé de s’installer dans le Yunnan pour y implanter une ferme de permaculture et en faire un centre international de permaculture. Ca a donné lieu à une publication dans le magazine belge « Le Vif » et prochainement en France dans le magazine « We Demain ». Vous pouvez le voir ici.
Formidable, didactique, enrichissant et BEAU!
Merci Laurence!!!
Merci cher Chri pour votre présence toujours aussi fidèle et enthousiaste !! C’est un vrai bonheur !!!
Très intéressant! Je m’attendais à voir des cultures de thé…la Chine est si diverse, merci de nous aider à mieux la connaître.
Je me demandais pourquoi vous aviez choisi le N&B, je trouve vos photos publiées dans Le Vif très belles en couleurs.
Bonjour Jacques ! Le Yunnan est en effet producteur de thé mais pas dans cette région. Il faut avoir en tête que le Yunnan est grand comme les 3/4 de la France métropolitaine et le thé, à l’instar du vin d’ailleurs, a ses cépages spécifiques. Et oui, vous avez tout à fait raison, elle est d’une diversité incroyable et chaque province est tellement vaste qu’elles pourraient constituer à elles toutes seules chacune un pays, avec leurs variations géographiques internes 🙂
Merci de poser la question du choix du noir et blanc 🙂 En fait, lorsque je suis en reportage avec un objectif de publication, je n’ai pas le choix, je dois être en couleurs. Si c’est pour un travail personnel, je suis beaucoup plus libre ! Et là, pour cet article je n’avais pas envie d’être surtout descriptive, mais j’avais envie de privilégier l’émotion. Certaines des photos que je vous montre auraient été en effet tout à fait correctes en couleurs tandis que d’autres auraient « perdu de leur âme », notamment les photos de haute montagne que j’avais dès le départ visualisées en N&B. Du coup, ce sont toutes les photos qui se retrouvent en N&B 🙂 🙂
Merci pour votre intervention !!
Vos émerveillements sont communicatifs . Merci pour ces récits simples et agréables à lire .
Bonjour Mangeon ! Aaaaaah ! J’adore être communicative !!!!!!!
Epoustouflant ! Superbe !
Juste une question : pourquoi que des photos en noir et blanc ? 😉