Les agapes sont à peine achevées que je vous en propose de nouvelles ! Mais cette fois-ci les délices seront un peu spéciaux et il vous faudra faire preuve d’imagination -ou de sens de l’aventure, c’est selon votre tempérament – pour oser affronter les mets que je vous présente 😉
En fait, si vous suivez le blog depuis un certain temps, ce n’est pas la première fois que je vous en parle. La preuve : http://www.photofolle.net/lingenue-et-le-legume/ . En très bref résumé, cette série, que j’ai intitulée « L’ingénue et le légume » rassemble 20 végétaux que je trouve sur les étals du marché en Chine et qui me sont totalement inconnus. Étant analphabète, je n’ai aucun moyen de savoir comment ils s’appellent et encore moins comment les préparer ! Aussi, j’ai laissé jouer mon imagination en leur inventant toutes sortes de définitions. Et pour corser le tout, j’ai re-colorisé les photos à l’origine en noir et blanc afin de brouiller leur origine 😉
Un livre d’artiste
Cela faisait très longtemps que j’avais envie de rassembler ces images au sein d’un ouvrage mais je n’avais jamais encore pris le temps de bien y penser. C’est désormais chose faite et je voudrais vous présenter – enfin ! – ce livre d’artiste réalisé à l’automne dernier.
Définition
La définition du livre d’artiste est assez compliquée – ou plutôt ambigüe et varie selon les pays et les courants de pensée. Je ne vais pas en faire l’historique ici et je vais me contenter de vous dire la manière dont je l’interprète.
Tout d’abord, il faut distinguer le livre d’artiste et le livre d’art. Selon moi, ce qui différencie les 2 tient dans le fait que le livre d’artiste est un objet où l’expérience de la manipulation de celui qui le consulte compte autant que le contenu. La conception du livre, la forme qu’il prend doivent servir et accompagner le contenu. Bref, le contenant et le contenu forment un tout. J’ajouterais également qu’il est important que l’artiste soit à l’origine du concept du livre. Si ce n’est pas le cas, le livre devient alors une oeuvre « à deux auteurs ». Cela ne signifie pas que le livre doive être obligatoirement réalisé par la main de l’artiste (parfois c’est impossible), mais sa conception, son idéation, si.
En conséquence, et surtout en ce qui concerne la photo, je trouve que c’est particulièrement intéressant car cela permet de donner une troisième, voire une quatrième dimension à la série. Il permet de lui donner corps. Et c’est exactement ce que j’ai fait avec mon livre !
De l’idée à la réalisation
J’étais donc avec mes 20 images de végétaux et je me demandais comment je pourrais leur donner corps. La première chose qui m’est venue à l’esprit, c’est que je voulais les présenter comme des planches d’herbier. Ainsi, chaque planche pourrait être consultée de manière indépendante. Pas de reliure à proprement parler donc. À priori, ça me simplifiait la vie étant donné que j’avais décidé de réaliser ce livre entièrement manuellement, par moi-même. Sauf que dans le cas présent, il me fallait donc une boîte pour contenir mes planches. Et la réalisation d’une boîte, ce n’est pas une mince affaire !!
Les planches
Mais avant toute chose, je devais m’occuper des planches. Comment les distinguer de la série des photos ? Est-ce qu’on ne risquait pas de les confondre avec un simple portoflio ? Et comment faire pour les textes ? Dans les images originales, ils sont en français et en chinois or je souhaitais élargir mon audience à un public anglophone et italophone. Il me fallait donc un espace pour la traduction.
J’ai donc décidé de mettre les photos dans un double feuillet, avec sur la gauche les textes dans les 4 langues et sur la droite la photo débarrassée du texte incrusté. Mais ça me paraissait un peu fade et plat, surtout lorsque le feuillet était fermé. J’étais face à une page totalement vide et ça n’allait pas du tout. C’est alors que j’ai eu l’idée de découper des petites « fenêtres » qui puissent permettre d’avoir un aperçu de l’image avant l’ouverture. Et en fait ça marche bien car ça attise vraiment la curiosité et donne à chaque fois l’envie de découvrir le mystère qui se cache. Et pour adoucir le tout mais aussi pour apporter une jolie finition, j’ai arrondi toutes les pages aux coins. Je vous promet, je suis devenue la reine de la découpe 😉
Enfin, pour qu’un herbier soit digne de ce nom je devais quand même nommer mes légumes et mes fruits. Après de longues recherches j’ai enfin réussi – avec plus ou moins de certitude – à trouver leurs noms scientifiques. Je les ai réunis dans une dernière planche que j’ai collée dans le fond de la boîte.
Me restait à trouver le papier ! Quel type et surtout, quelle épaisseur ? Il me fallait un papier suffisamment épais pour que mes planches aient un bon maintient mais pas trop non plus pour qu’elles soient faciles à plier et que ça ne se déchire pas sur la pliure. Heureusement que j’ai HLIIC, un super studio photo à Nanjing et qu’ils ont été patients avec moi ! On a en effet fait une multitude d’essais d’impressions sur différents supports, ils ont cherché chez tous les fabricants de papiers la perle rare qui correspondait à tous les critères esthétiques, de résistance, de souplesse, de longévité d’impression, … Mais on a fini par trouver !! Il s’agit d’un papier de coton finement texturé avec une trame horizontale, de couleur très très légèrement crème.
Quand à la page « intention artistique » et « index », j’ai fini par trouver un joli papier de riz fine art. La spécificité de ce papier est d’être assez fin et donc un peu transparent. Parfait pour supporter un pliage en 6 parties, il s’est révélé extrêmement difficile à coller dans le fond de la boîte car une fois humide de la colle, c’était comme si je devais coller une serviette en papier qui se chiffonne et se déchire au moindre faux geste ! Mais je tenais, pour des raisons de cohérence, à ce que ce soient les mêmes papiers. Comme disait Albert Camus : Il y a tellement d’espoir têtu dans le coeur humain.
La boîte
J’ai longuement cherché une idée de boîte qui serait originale et qui cacherait des surprises car je souhaitais qu’elle soit marquante. En effet, étant donné que mon « herbier » n’avait pas de reliure, je me disais qu’il fallait quand même trouver un moyen pour rendre intéressant son « emballage ». J’ai donc passé beaucoup de temps à chercher, à regarder des images sur la toile, à aller dans les magasins, … Et de fil en aiguille j’ai fini par trouver mon inspiration et mon idée.
Mais de l’idée à la réalisation, il y a un grand pas !! Au début, j’ai pensé faire appel à un artisan pour la réaliser car je ne pensais pas être en mesure de la faire moi-même. Sauf que ça me revenait très très cher. Beaucoup trop cher en fait et le prix de vente du livre risquait d’être définitivement prohibitif. Aussi, j’ai pris mon courage à 2 mains et je me suis lancée !
Le prototypage
On n’imagine pas avant de passer au concret le nombre d’obstacles que l’on va rencontrer à toutes les étapes ! Tout d’abord la structure. Je suis partie d’une boîte trouvée dans le commerce et qui s’ouvrait en mode « portfolio ». Dans ma petite tête c’était assez simple : il suffisait d’ajouter ma grosse languette de fermeture. Sauf que pour que tout s’emboîte facilement il faut tenir compte des différentes épaisseurs ! Je ne compte plus le nombre de calculs de millimètres, d’essais et d’erreurs que j’ai faits 😉
Je voulais également que cette languette ferme avec des aimants de manière à ce que tout se maintienne bien. Mais quels aimants, quelle puissance en tenant compte des épaisseurs de papier, où, comment les cacher, … ?
Il me fallait aussi faire des découpes dans la boîte elle-même de manière à faciliter son ouverture et la prise en main des planches. Mais comment faire proprement de manière à ce que ça soit invisible ? Heureusement que j’ai pu compter sur mes amies Amandine Nabarra (une artiste exceptionnelle !) et Christine Giard (un relieuse d’art tout aussi exceptionnelle !). Je leur dois une fière chandelle !
La réalisation finale
Une fois le prototype achevé, c’est à dire une fois la preuve de faisabilité faite avec des matériaux basiques et la validation de la chronologie de toutes les différentes étapes, il était donc temps de passer aux choses sérieuses, c’est à dire utiliser les matériaux définitifs, et notamment le papier en soie que j’avais choisi pour la grosse languette de fermeture, l’étiquette du titre et la pochette. Je tenais en effet à utiliser ce papier précieux car il a un toucher de tissu, apporte une touche soyeuse très délicate, et techniquement, il assure une solidité sur la charnière impossible à obtenir sans tissu. Mais je me suis rendue avec horreur qu’il était partiellement transparent une fois collé !
Ce n’était pas un retour à la case départ, mais pas loin … J’ai donc dû tout doubler mes cartons de papier blanc de manière à cacher les ombres indésirables.
Le livre fini
Il me reste maintenant à vous présenter mon livre enfin fini !!!
Vous vous doutez bien que compte-tenu de la difficulté, mais aussi le temps de réalisation de chaque exemplaire, je n’en ai fait qu’une édition très limitée de 6 (plus une épreuve d’artiste). Au niveau de ses dimensions, la boîte fait 23×32,5 cm et les planches ont un format A4.
J’ai eu l’honneur de présenter ce livre lors d’une exposition au Studio Nomad No Mad à Shanghai en octobre et novembre dernier. Et il devrait continuer à être exposé cette année, et cette fois-ci en Italie. Mais je vous en dirai plus le moment venu !
Voilà, j’espère que ce livre vous plait ! En tout cas, j’y ai mis tout mon coeur et beaucoup d’énergie. Je peux enfin clore le chapitre de mes légumes mystérieux et me consacrer à mon prochain projet de livre. Affaire à suivre donc 😉
Quel précieux coffret! Je te l’ai déjà dit mais je le répète après avoir lu ton article et vu la vidéo d’Alexandre, je suis sincèrement admirative pour tout le travail que la conception et la réalisation d’un tel livre représente. Tu es une artiste accomplie, mille bravos !
Bonjour,
Magnifique.
Beaucoup de temps de consacrer à cet ouvrage et de la recherche pour les plantes.
Livre moi je dirai plus « La boîte Mystère ».
Bonne Année 2024.
Marc
Magnifique travail d’artiste !
Et merci de nous présenter les étapes de réalisation, avec ces tâtonnements.