Je ne pensais pas qu’une série pourrait ne jamais être finie … Et pourtant c’est bel et bien ce qui est en train de se produire avec ce travail que je fais sur la relation de l’homme moderne chinois et son environnement urbain. À chaque nouvelle photo je me dis que c’est la dernière et voici que je trouve encore un lieu inédit, une situation qui m’évoque cette sensation d’immensité et de petitesse de l’homme dans la ville moderne.

J’ai pourtant commencé cette série il y a environ 2 ans, sans vraiment d’idée précise derrière la tête, juste animée par une sorte de fascination de l’architecture moderne, un grand amour pour ce qu’on appelle la « street photography » et un goût immodéré pour les noirs et blancs ultra contrastés. Je vous ai d’ailleurs déjà montré un certain nombre d’images au cours des différents articles que j’ai rédigés ici mais jamais sous forme unifiée. C’est donc ce que je vais faire ici 🙂

Mais auparavant, laissez-moi faire un petit aparté sur la notion de série photographique (ou portfolio selon les pays et appellations). J’ai déjà abordé à plusieurs reprises dans ces pages la construction photographique autour d’un thème précis. Car c’est bien de cela qu’il s’agit : un portfolio est simplement une série d’images autour d’un thème. Ce thème peut être documentaire ou journalistique, narratif (le photographe raconte une histoire non documentaire, elle peut être littéraire, policière) ou bien conceptuel. Dans ce dernier cas, le photographe élabore sa série autour d’une idée abstraite et les photos agissent d’avantage comme les symboles visuels de cette idée.

Ce qui m’intéresse ici, c’est la manière de concevoir un portfolio. Je pense qu’il faut partir du principe que tous les chemins mènent à Rome, ce qui veut dire qu’il n’y a pas qu’une manière d’arriver à la réalisation d’une série, et que surtout cela dépend de l’intention première et du type de portfolio qu’on souhaite réaliser. Mais l’essentiel, quel que soit le style, est d’avoir un thème, de savoir où on veut arriver ! Ne pas perdre de vue que l’objectif c’est Rome, quelques soient les chemins qu’on emprunte. Autrement dit, il ne faut pas se perdre.

Il faut donc l’idée … Alors bien sûr, s’il est impossible de décrire les façons d’avoir une idée, on peut toutefois avoir quelques éléments de base …

Je dirais qu’avant tout, il faut avoir envie de raconter quelque chose et surtout de partager notre réflexion ! La photographie est un langage et je m’imagine souvent qu’une photo (ou une série) pourrait être comparée un apport à une conversation : qu’est-ce que j’ai d’intéressant à ajouter qui n’a pas encore été dit ? Comment puis-je formuler différemment mon idée afin que celle-ci apporte quelque chose de nouveau, ou tout du moins un point de vue différent afin de susciter en retour un intérêt, un questionnement chez mon interlocuteur ? N’y a-t-il pas une manière d’aborder la conversation de façon plus subtile, plus détaillée, plus originale, voire à contre-pied ?

Il faut donc être curieux. Curieux de son environnement (naturel, social), des autres et de leur vie, de soi-même et détecter ce qui nous interpelle le plus. Car il faut vraiment que le sujet sur lequel on va travailler nous plaise ! Rien de pire que de commencer à travailler autour d’une thématique qui ne nous intéresse que moyennement, juste parce qu’on a décidé de commencer une série ! Le sujet peut être très très simple, mais il doit nous « animer » en quelque sorte.

Une fois l’idée trouvée, il est vraiment important de faire des recherches : cette idée a-t-elle déjà été traitée ? De quelle manière, par qui, quand, avec quels moyens ? Je pense qu’il ne faut pas s’arrêter aux seules photographies et ne pas hésiter à aller faire un tour du côté de la littérature, du cinéma, mais aussi de toute documentation « technique »et théorique. Cela permet non seulement de pas faire de « redit », mais aussi de se nourrir de l’apport des autres.

Mais parfois, l’idée vient en faisant ! Tel est donc le cas de la série que je vous présente ci-dessous. Comme je le disais précédemment, je n’avais à priori aucune intention de faire une série et à l’origine ce n’étaient que des images indépendantes. C’est faisant le tour régulier de mes photos – je ne suis pas une championne de l’indexation et bien souvent je me contente seulement de noter mes photos, je sais, ce n’est pas bien du tout ! – et notamment celles que j’avais notées avec 2 étoiles, que je me suis rendue compte de la récurrence de la thématique et du traitement relativement uniforme de mes noirs et blancs. C’est donc ainsi qu’ « Espaces urbains » est née, et une fois identifié l’objectif, je me suis mise à arpenter les rues et les espaces modernes avec un oeil spécifique pour cette série. Le problème c’est que je ne sais plus m’arrêter ! Serais-je en train de me perdre ? Je ne pense pas, mais je fais indéniablement des détours et je prolonge le plaisir ! Je suis même allée revisiter certaines photos à l’origine en couleur pour les intégrer à cette série, c’est dire 😉

Je pense qu’il n’y a pas de nombre maximum de photos pour un portfolio. Cependant, si je devais les exposer, il me faudrait faire une sélection drastique pour n’en retenir que quelques unes. Et c’est peut-être parce que j’estime que je n’en ai pas encore suffisamment de haute qualité pour créer un ensemble cohérent en cas d’exposition que je n’arrive pas à m’arrêter ? Ou alors je n’ai tout simplement pas encore fini de faire le tour de la question …

Allez, je vais refermer mon aparté et vous présenter enfin cette série ! Vous trouverez le texte d’accompagnement à la fin 🙂

J’espère que vous prendrez au moins autant de plaisir à les regarder que j’en ai eu à les photographier !

Premier pays au monde par son nombre d’habitants, premier pollueur (57ème rapporté au nombre d’habitants), 3ème plus grand pays, unique nation ayant construit une muraille sur une durée de plus de 2000 ans (8800 km de long), la Chine est le pays de la démesure.

C’est aussi le pays à l’essor économique le plus rapide de l’histoire de l’humanité et le rythme de sa modernisation se joue des relations traditionnelles de l’homme à son environnement. Des ruelles labyrinthiques qui composaient le coeur des cités, le paysage urbain se modifie profondément en s’articulant désormais le long d’avenues à 6, 8, parfois 10 voies. Ici, les espaces semblent s’étirer à l’infini. Fabricants de vides et de pleins, ils allongent les perspectives, éloignent les horizons et se développent dans les verticales. Les villes sont surpeuplées ? Oui … Mais non … Les millions d’habitants semblent disparaître dans ces espaces ponctués de béton, d’acier et de verre. Même à l’intérieur des bâtiments modernes l’humain n’occupe plus qu’une infime portion, comme aspiré par l’espace dénudé.

D’un modèle fonctionnaliste hérité de l’époque Mao, la Chine ambitionne maintenant d’associer cette urbanisation post-moderne au modèle intégrationniste. Au coeur de ce projet, le “hexie sheshui” (société harmonieuse) et le “zhongguo meng” (rêve chinois).  La société chinoise qui n’est encore urbanisée qu’à 50% se fait laboratoire d’une ville du futur où les espaces infinis et rationnels semblent absorber irrémédiablement ceux des quartiers traditionnels.

“Je ne sais séparer ni dans mon coeur ni dans ma tête, la photographie de l’ensemble des activités d’un homme, de l’ensemble des actions d’une société, avec leurs vertus et leurs défaillances. ” — Lucien Hervé

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6 pensées sur “Espaces urbains

  1. J’adore cette série Laurence… pour son graphisme, pour ton oeil de lynx, pour les rythmes qui s’en dégagent et les contrastes, bravo !! 🙂

    1. Re-bonjour @celine ! Je suis touchée que cette série te plaise. J’y met beaucoup de coeur 🙂 🙂

  2. Très beau travail Laurence, j’ai beaucoup de plaisir à y retrouver ton dynamisme, ton inventivité et ta poésie ainsi que ton oeil aiguisé. Et merci également pour ces rappels au sujet des séries: je vais de ce pas le partager avec une copine de photo qui s’interroge à ce sujet… Belle journée, amitiés et bises.

    1. Bonjour @cecile 🙂 Je suis ravie que tu y retrouves une touche de poésie. Que ferions-nous sans elle dans ce monde de brutes 😉 Quant aux petits conseils sur le portfolio n’hésite pas à les partager ! Une belle journée à toi 🙂

  3. Bonjour Laurence,
    Je suis photographe moi aussi, je tâtonne depuis environ 11 ans maintenant, en recherche d’identité et d’une patte visuelle qui me serait propre. De plus en plus je m’intéresse au monochrome ainsi qu’aux rendus « vintage. »
    C’est donc avec une joie immense que j’ai découvert votre site web, que j’adore et qui m’inspire et, croyez-moi, je ne dis pas ça de beaucoup de photographes (d’ordinaire je puise plutôt mon inspiration dans toutes les formes d’art et tous les médias SAUF la photographie).
    Pourriez-vous m’en dire un peu plus sur l’aspect technique de cette série ? Comment obtenez-vous ce grain si doux et ces contrastes si pur et abruptes ?

    1. @raphael-vincent-rossi
      Bonjour Raphaël !
      Et bien à ce que je vois, nous sommes au moins 2 à tâtonner en photo depuis longtemps 😉 😉
      Trêve de plaisanterie (mais pas tant que ça sur le fond), je vous remercie beaucoup, beaucoup pour vos compliments ! Ils me vont droit au coeur !!!
      C’est drôle car votre commentaire m’a fait revenir sur cet article où je disais que la création d’une série n’est jamais linéaire. Et bien la preuve par 10 que c’est vrai, c’est que cette série en tant que telle n’existe plus ! En fait, j’ai mixé ces photos avec d’autres pour en faire des diptyques. Et pour le coup, je pense que la série est finie ! Si ça vous intéresse, vous pouvez la voir achevée ici : http://laurencechellali.com/fr/portfolio/parallaxes/
      Répondre à votre question ne va pas être facile. Il y a bien entendu du post-traitement. Mais à la prise de vue, toutes ces photos ont été prises par un jour de grand soleil avec de très forts contrastes d’ombres et de lumière. J’ai beaucoup sous-exposé les clichés car j’adore les noirs très profonds – en fait, je me fiche souvent qu’il y ait du détail dans les ombres. Puis, en post-prod je redresse ma courbe des tons clairs sans toucher la plupart du temps aux ombres. Puis je rajoute du grain (j’adore le grain) ainsi que des claques de couleur pour les ombres et les hautes lumières car ici je ne voulais pas du noir pur et du blanc pur, mais je cherchais plutôt du crème et du bleu. Bref, je fais une petite mixture qui diffère bien entendu pour chaque photo et ses conditions d’exposition. D’où le fait que ce n’est pas facile d’expliquer en quelques lignes et sans montrer 😉
      J’espère que j’aurais réussi quand même à répondre à vos questions !
      Je vous souhaite une excellente journée !

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