J’ai été bien silencieuse depuis plusieurs semaines et je m’en excuse … Mais comme toujours, c’est la faute à … pas de temps ! La visite d’amis venus de France et plusieurs déplacements d’affilée ont eu raison de mon assiduité sur le blog Photofolle 😉
Durant ces pérégrinations, j’ai eu le plaisir de relire le livre de Susan Sontag « Sur la photographie » et j’ai envie aujourd’hui de partager avec vous une de ses analyses.
Être photographe a ceci de drôle – si je peux parler comme ça – que n’importe quoi peut devenir un sujet d’exploration. Et quand je dis n’importe quoi, je parle de lieux, de situations, d’évènements, de sujets qui sans le regard photographique ne sont que des objets banals auxquels on ne fait pas attention, non pas par négligence, mais tout simplement parce qu’ils ne méritent pas notre attention.
Un caillou posé sur un trottoir, un rayon de lumière, un personnage de dos, une maison sans âme, une bouteille en plastique, une affiche arrachée, … tout peut devenir prétexte pour le photographe à s’arrêter et … à s’extasier 😉
Enfin, le terme « s’extasier » est un peu fort (même beaucoup !) et propose une vision un peu trop romantique de la photographie à mon goût. On peut s’extasier devant un magnifique paysage, devant une scène fortement esthétique ou encore un beau personnage. Ça c’est facile. Je ne dis pas ça de façon péjorative, mais c’est tout simplement naturel à mes yeux d’être attiré et submergé par le Beau.
Le photographe, bien souvent, a la vie un peu plus compliquée face à l’évidence du Beau. C’est que, paradoxalement, photographier un beau coucher de soleil par exemple se révèle être d’une banalité sans nom. L’exceptionnel peut rapidement devenir insipide s’il entre dans une norme déjà établie et visitée maintes fois. La femme-nue-taille-manequin-à-la-position-improbable-dans-la-nature en est un autre bon exemple. On frôle l’ennui … et ceci même si les photos sont belles en soi.
Et c’est là que Susan Sontag intervient :
Le photographe ne cesse d’essayer de coloniser de nouvelles expériences ou de trouver des façons nouvelles de regarder des sujets familiers, afin de se battre contre l’ennui. »
Plus loin, elle ajoute :
Les photographes ambitieux, ceux dont les œuvres entrent dans les musées, se sont écartés toujours davantage des sujets lyriques, explorant consciencieusement l’ordinaire, le terne, l’insipide.
Le message est clair me semble-t-il 😉 Nous photographes, laissons-nous séduire par l’insipide et tâchons de révéler la fascination potentielle que l’ordinaire peut nous apporter !
Pour illustrer cette petite réflexion autour de l’acte photographique, j’ai envie de vous montrer des photos que j’ai prises cet été dans un parking. Un endroit plus que banal où l’on ne reste généralement pas. Je m’y suis promenée 2 heures et seule (car oui, la photo est aussi une activité solitaire) 😉
Un clic sur les images est nécessaire car pour des raisons de place celles-ci sont recadrées. En plein écran ce n’est pas le cas 😉
Oh bien sûr ces photos ne rentreront pas dans un musée !!!
Mais un tel exercice dans un endroit aussi dénué de charme nous pousse à prêter attention à des choses auxquelles on n’aurait jamais pensé d’ordinaire ! La lumière, les formes, les volumes, les lignes, les perspectives semblent prendre vie à travers l’objectif. Et c’est tout là le travail du photographe !
Au bout du compte, l’image photographique nous lance un défi. […] À vous maintenant d’appliquer votre réflexion, ou plutôt votre sensibilité, votre intuition, à trouver ce qu’il y a au-delà, ce que doit être la réalité, si c’est à cela qu’elle ressemble..
Ceux qui te suivent ont bien remarqué ton talent pour le cadrage, le graphisme, le dépouillement et les ambiances; en somme, ton regard. De plus tes photos interpellent, elles donnent envie de connaître qui est derrière le viseur, son état d’esprit, sa démarche, sa sensibilité; elles donnent à penser, à rêver, à voyager.
Par un tel regard, il n’y a pas de banal.
Juste bravo
@patrick
Merci Patrick pour ces beaux compliments ! Ca prend du temps avant de pouvoir affirmer un regard, il faut de l’expérience et de la confiance en soi ce qui généralement – et logiquement – n’est pas le cas lorsqu’on débute. Mais c’est quand on a compris ça que l’on découvre que chacun est potentiellement en mesure de poser un regard personnel sur toute chose. Ainsi, chaque photographe est un passeur en puissance 🙂
J’aime cette idée que la photographie est un exhausteur de petits riens et suis très contente de te retrouver par ici, chère Laurence.Ttes images italiennes m’enchantent 🙂
@christine
Chère Christine, quel plaisir de te lire ici, ça fait tellement longtemps ! Jolie expression que celle « d’exhausteur de petit riens » . C’est sûr qu’il y a de ça, et je dirais même que parfois ces « riens » deviennent d’une puissance inouïe !
Des gros becs chinois !
Le livre de Susan Sontag est un « classique » de l’analyse photographique (avec « Un art moyen » de Pierre Bourdieu et « Photographie et société » de Gisèle Freund), que chaque photographe devrai lire… Le banal nous entoure et bien souvent nous n’y faisons pas attention; c’est ce que j’exprime aussi dans ma série « paysages familiers » : https://fg-photos.myportfolio.com/paysages-familiers.
@francis-goussard
Bonjour Francis ! Tu as tout à fait raison, les 3 livres que tut cites doivent faire partie de toute bibliothèque de photographes !
Merci d’avoir partagé avec nous ta très belle série de « Paysages familiers » . Ils ont cette esthétique de la simplicité qui me touche beaucoup !
Le beau est relatif à chacun.
Un parking comme celui-ci, avec toutes ces lignes, ombres et lumières, son graphisme….est beau. Mais c est à la perception de chacun qu il revient.
Les humains ne prennent plus le temps de regarder, d observer et donc d exorter le beau de l l’ordinaire.
Erri de Luca écrit ceci:
» le verbe voir sert à mesurer la distance.
Le verbe regarder invite à s approcher du sujet. »
Il est indéniable que vous savez regarder pour extraire le beau.
Christophe
@christophe-m
Ah oui ! La question du beau … elle est tellement vaste et je crois que personne encore n’a vraiment réussi à y répondre de manière définitive. Une chose est certaine, c’est que le beau n’a rien à voir avec le sujet, bien qu’il sera plus facile de produire quelque chose de beau avec un sujet « lyrique ». Je dois dire que en ce qui concerne les photos de ce parking, j’ai été indéniablement aidée par la lumière et un bon exercice consisterait à y retourner un jour de temps gris et sans contrastes. Rien ne dit que le résultat serait plaisant aux yeux 😉
Je ne connaissais pas cette citation d’Erri de Luca mais elle tombe en effet à pic dans notre sujet ! Merci pour cette contribution !!
Très bonne série Laurence ! J’aime beaucoup le sujet de cet article ! 🙂
Voir le « beau » dans les choses « ordinaires » et même dans ce qui est classé comme étant « laid », c’est pour moi tout un « état d’esprit, de regard et de présence » face ce qui nous entoure…
Merci pour ce partage et bonne continuation !
@celine
Bonjour Céline !
En fait tu dis la même chose avec d’autres mots que Christophe mais toi tu nous emmènes sur le terrain du « laid ». D’où la même question qui se pose en corollaire : qu’est-ce que le laid ? Pas de réponse définitive non plus, cela dépend tellement de qui regarde, à quelle époque, dans quelle culture, à quel moment, dans quelles circonstances, … Et c’est là où on se dit qu’il n’est pas obligatoire du tout de produire du beau, ni du laid. Par contre, ce qui est obligatoire, c’est d’arriver à communiquer l’idée qu’on se fait du sujet !
Merci pour ta présence chère Céline !